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vain ukrainien Skorovoda, dont les écrits moraux et religieux auraient exercé une grande influence sur « les chrétiens spirituels ». De l’Ukraine, la nouvelle doctrine était passée dans la région de Tambof, où elle fut propagée par un prophète nommé Pobirokhine. C’était, paraît-il, un homme impérieux, violent, à la fois mystique et fanatique, qui gouvernail ses adhérents en despote. Son gendre ou beau-frère (ziat) Ouklein, un tailleur de pierre, entra en lutte avec lui et forma une communauté dissidente d’où proviendraient les molokanes de Tambof. Cet Ouklein, poussant la doctrine dans le sens du rationalisme, en élimina les éléments mystiques. Avant la fin du dix-huitième siècle, les molokanes avaient pénétré jusqu’au Volga et à Moscou.

Ces nouveautés n’échappèrent pas à l’attention du clergé et du gouvernement. Le nom de molokanes se rencontre dans un rapport du Saint-Synode, dès 1765. Paul Ier persécuta ces réformés russes, pour des motifs plutôt politiques que religieux, leur radicalisme Ihéologique les ayant amenés à une sorte de radicalisme politique. Alexandre IIer se montra plus tolérant envers eux, après avoir fait faire une enquête dans leurs villages par les sénateurs Lopoukhine et Méletsky. Les sectaires qui, sous Paul IIer, avaient été en partie exilés en Sibérie, demandèrent à être réunis dans une contrée nouvelle. On leur assigna des terres, vers 1800, sur les bords de la Molotchna, dans les environs de Mélitopol, au nord de la mer d’Azof. Les doukhobortses formèrent là une sorte de république agricole, sous la direction de Kapoustine, un ancien caporal qui devint leur législateur et les gouverna avec ce génie pratique si commun chez les sectaires russes. À côté des athlètes de l’esprit furent colonisés des molokanes qui se constituèrent en communauté distincte. Les adhérents des deux sectes sœurs vécurent là en paix un demi-siècle, dans le voisinage de Tatars musulmans et de colons allemands anabaptistes, dont les doctrines ont pu réagir sur les leurs. Cet Israël des steppes reçut plusieurs visites, entre autres celle de l’empereur Alexandre IIer,