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sacerdotal, aucun pouvoir sur la communauté, pas même un costume particulier durant l’office divin.

Dieu est esprit et veut être adoré en esprit et en vérité. Telle est la maxime fondamentale de ces chrétiens spirituels. Cette maxime, ils l’appliquent avec la logique du paysan russe. Dieu est esprit, dit le rigide molokane, et c’est en esprit que le chrétien se prosterne devant lui. Dieu est esprit, et toute image n’est qu’une idole. Aux exhortateurs officiels qui leur présentaient l’image du Christ, les paysans doukhobortses de la Nouvelle-Russie répondaient : « Ce n’est pas là le Sauveur, ce n’est qu’une planche peinte. Nous croyons au Christ, non à un Christ de cuivre, d’or ou d’argent, mais au Christ de Dieu, Sauveur du monde ». Rien de plus simple que le culte de l’une ou l’autre secte. Les molokanes n’ont ni églises ni chapelles ; Dieu, selon eux, n’a d’autre temple que le cœur de l’homme. Le templum Dei estis de saint Paul, ils le prennent à la lettre. Une église, disent-ils, n’est pas faite de poutres, mais de côtes : ne v brevnakh tserkov a v rebrakh, donnant à entendre que c’est la poitrine du chrétien et non un édifice fait de main d’homme. Pour leur office, ils se réunissent dans une de leurs maisons : le Pater, la lecture de l’Écriture, le chant des psaumes, constituent tout le service divin de ces paysans.

La mystique échelle de grâces et de sacrements dressée par l’Église entre la terre et le ciel, le molokane la rejette avec dédain, prétendant s’élever à Dieu par ses propres forces. Il supprime les sacrements ou ne les entend que d’une manière allégorique. Selon lui, le baptême de l’eau est sans vertu : ce qu’il faut au chrétien, ce n’est pas l’eau matérielle, mais l’eau vivante, la parole divine. La pénitence consiste dans le repentir ; le chrétien spirituel se confesse à Dieu ou à ses frères, selon le précepte de saint Paul. La vraie communion du corps et du sang du Christ, c’est la lecture et la méditation de sa parole. S’ils mangent le pain en commun, en souvenir du Sauveur, les buveurs de lait ne voient là aucun mystère. De même, ce