Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

délicates affaires sont renvoyées au jury, la pitié publique acquitte les aveugles victimes du fanatisme d’autrui.

Les skoptsy semblent former une sorte de corporation dont tous les membres se tiennent et s’entr’aident mutuellement. Cette franc-maçonnerie d’eunuques a, prétend-on, à son service des émissaires secrets au moyen desquels les colombes correspondent, d’un bout de l’empire à l’autre. Les adeptes ont pour se reconnaître des signes de ralliement, entre autres un mouchoir rouge, que dans leurs entretiens ils poseraient sur le genou. Ces cruels partisans de l’émasculation sont, dans la vie ordinaire, les plus honnêtes et les plus doux des hommes. Ils se distinguent par leur frugalité, leur probité, la simplicité de leurs mœurs. Leurs réunions sont innocentes ; on y chanle de chastes cantiques ; un pain noir ou un gâteau de blanche farine sert à la communion[1]. Tout leur crime est dans leur doctrine et leur prosélytisme, moins coupable cependant que les calculs intéressés des parents qui, naguère, en Italie, infligeaient à leurs enfants semblable mutilation pour en faire des sopranistes. On affirme que sur les adhérents de ces maximes contre nature souffle un esprit nouveau. Certains des disciples de Selivanof tendraient à prendre le précepte du Maître, comme le conseil évangélique, au sens spirituel. L’émasculation serait remplacée par la chasteté. Pour rester vierges, ils renonceraient à être eunuques. La police de l’empereur Nicolas avait déjà signalé des skoptsy spirituels ; leur chef, un ancien soldat du nom de Nikonof, avait personnellement connu Selivanof et se donnait pour son successeur[2]. Bien que lui-même mutilé, ce réformateur niait la nécessité de la mutilation. Il serait curieux de voir la plus barbare des sectes russes se transformer en une inoffensive communauté de moines laïques.



  1. Selon certains écrivains, les skoptsy communieraient parfois avec le sang provenant de la castration d’un enfant ; mais cela n’est nullement prouvé.
  2. Sbornik prav. sved., t. II, p. 122-124.