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vent à un commis. La succession d’un skopets, mort en prison avant son jugement, a été, en 1874, l’un des motifs du fameux procès de l’abbesse Métrophanie. L’intrigante abbesse prétendait tenir de l’eunuque millionnaire, à qui elle devait procurer la liberté, pour six cent mille roubles de lettres de change. Un skopets a, vers la fin du règne d’Alexandre II, consacré cinq millions de roubles à l’érection d’un asile pour les vieillards et les enfants[1]. De pareils moyens d’action expliquent la persistance de cette répugnante hérésie. De telles fortunes, un tel souci des intérêts matériels rapprochent, en même temps, les skoptsy des vieux-croyants et des autres raskolniks. Cette secte mystique par excellence, ces illuminés affamés de prophéties n’ont pas failli à l’esprit positif, à l’esprit mercantile du Grand-Russe et du raskol.

Pour mettre fin à la barbare religion de Selivanof, il semblerait n’y avoir qu’à en isoler les partisans et à les laisser s’éteindre sans postérité ni prosélytes. Ce moyen a longtemps été employé ; en dépit de toutes les rigueurs de la loi, il semble n’avoir que médiocrement réussi. Comme les autres sectes, c’est dans l’état mental, dans l’état moral de la nation, que la doctrine des mutilés trouve des aliments. La prison et la déportation n’ont point suffi à en débarrasser l’empire. Sous le règne de Nicolas on faisait souvent de ces fanatiques des soldats. Une ville du Caucase, Maran, a longtemps servi de garnison à cette singulière troupe. Aujourd’hui on les envoie au fond de la Sibérie orientale. Il en a été ainsi, sous Alexandre II, du marchand Plotitsyne et des frères Koudrine, condamnés, l’un en 1869, les autres en 1871. Dans le premier procès il y avait une quarantaine d’accusés des deux sexes ; dans le second, une trentaine. Plotitsyne, arrêté avec sa sœur, était le chef des blanches-colombes du gouver-

  1. L’asile Timenkof à Pétersbourg, construit par un banquier skopets qu’un marchand orthodoxe avait converti à la Bourse. Le riche eunuque avait hérité de son patron, lui aussi un eunuque.