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Les skoptsy font en effet fréquemment le métier de changeur. Ils aiment à manier l’or, l’argent, les billets de banque ; à leur comptoir de change s’est souvent ébauchée une fortune achevée dans une autre industrie. D’où vient cette prédilection des blanches-colombes pour un métier ailleurs accaparé par les juifs ? Est-ce d’une idée religieuse, est-ce d’un calcul politique ? Révent-ils de préparer par la richesse la domination de leur messie ? Sont-ils simplement soucieux de s’assurer des armes contre une police longtemps vénale ? À cette question posée dans un procès, un témoin répondait que les skoptsy étaient changeurs parce qu’ils ne se sentaient pas la force de faire autre chose. Peut-être serait-il plus juste de dire que les blanches-colombes se livrent au commerce des métaux précieux parce qu’en les préservant de certaines tentations, la mutilation leur donne plus de chance d’y réussir. « Si j’étais banquier, me disait un Russe, je ne voudrais d’autre caissier qu’un skopets. Pour une caisse, comme pour un harem, un eunuque est le plus sûr gardien. Dans toute soustraction de fonds, toute infidélité de comptable, il y a une femme ; avec les blanches-colombes, on peut dormir en paix. » Telle semble être l’opinion de certains skoptsy. Un de leurs chefs disait, dans un procès, qu’ils se mutilaient parce que, l’or étant le prince de ce monde, il faut supprimer dans sa racine tout ce qui en peut distraire. Le skopets, sans passion et sans jeunesse, peut, pendant une vie entière, mettre à la recherche de la richesse un esprit de suite, une régularité, une opiniâtreté, qui d’ordinaire n’appartiennent qu’à la vieillesse ou à la maturité. Sans femme et sans famille, ayant peu ou point d’enfants, il est plus maître d’épargner, comme il est plus libre d’acquérir. Aussi a-t-on vu, parmi les skoptsy, des hommes riches à millions de roubles, et ces richesses, ils les employaient à la propagande de la secte, qui leur offrait de dociles agents et de sûrs commis. Ils se passent, d’ordinaire, la fortune de main en main, par adoption ; le patron la laisse sou-