Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/498

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

langage allégorique, les communautés arfiliées n’étaient que de légères nacelles voguant dans le sillage du navire qui, pour pilote, avait le Dieu vivant. Les mutilés ont, eux aussi, leurs prophétesses et leurs saintes vierges. Les femmes, et en particulier une prophétesse du nom d’Anna Bomanovna, ont eu une grande part dans l’invention ou la diffusion de la doctrine. Parfois ce sont encore des femmes qui, de leurs mains, transforment les hommes en anges.

Chez les blanches-colombes, l’émasculation n’est pas seulement un acte d’ascétisme, elle découle du dogme. Toute la doctrine repose sur une interprétation du péché originel, qui s’est plus d’une fois produite ailleurs, mais dont on n’avait jamais tiré d’aussi rigoureuses conséquences. Selon les skoptsy, c’est l’union charnelle des premiers parents qui a été le premier péché ; ce péché, c’est à la castration de le racheter. Ils rejettent ainsi, ou mieux ils renversent le dogme fondamental du christianisme, la rédemption par le Christ. Au lieu de Jésus, c’est leur christ eunuque, Selivanof, que les blanches-colombes reconnaissent comme rédempteur, et ce n’est point en mourant sur la croix, c’est en se mutilant que le nouveau sauveur a délivré l’humanité. Ce sacrifice de leur rédempteur, les blanches-colombes s’y doivent associer en l’imitant. Ils accordent à Jésus le titre de fils de Dieu, mais, interprétant l’Évangile à leur manière, ils font de lui une sorte de précurseur de Selivanof. Ils lui prêtent un enseignement ésotérique. La mutilation était, selon eux, l’objet de la doctrine secrète de Jésus ; mais, cette doctrine ayant été corrompue ou oubliée, il a fallu, pour achever la rédemption du genre humain, la venue d’un nouveau Christ qui enseignât et pratiquât le principe de la mutilation dans toute sa force.

Ce sauveur, dont les blanches-colombes attendent le retour visible, se fit connaître sous Catherine II. On ne sait rien de son origine ; il est probable que ce n’était qu’un paysan