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au dix-huitième siècle, certaines communautés de khlysty avaient pour coutume de clore les rondes sacrées par un souper en commun ; et, ces agapes terminées, les frères et les sœurs s’abandonnaient librement aux délices de l’ « amour en Christ ». De semblables pratiques ont été imputées aux khlysly civilisés du palais Michel et aux staritses ou bélitses (religieuses ou novices) des couvents Ivanovsky et Dévilchy, aussi bien qu’aux rustiques adorateurs d’Ivan Souslof. L’homme, et encore plus la femme, est un être d’une complexité étrange, et, comme dit Pascal, qui fait l’ange fait la bête. Aux natures primitives, aux sens novices, les mystères inconnus de la volupté peuvent inspirer une sorte de terreur religieuse et comme un fascinant vertige. Il est des vierges qui s’y livrent avec d’autant plus de frénésie qu’elles les redoutaient davantage. L’attrait du sexe exerce sur certains tempéraments une obsession dont ils ne se délivrent qu’en y cédant ; tandis que, par une sorte de perversion intellectuelle, des natures raffinées ou blasées prennent plaisir à mêler l’érotisme au mysticisme, se délectant à aiguiser et à rehausser, l’un par l’autre, le délire des sens et l’ivresse du surnaturel. Chez quelques illuminés, la débauche en commun a même pu être employée comme un procédé ascétique, un moyen d’abattre le corps en le rassasiant ; la volupté a pu servir au même but que la mortification, et, elle aussi, devenir le prélude de l’inspiration ou de l’extase.


Une secte voisine, pour ne pas dire une branche de la khlystovstchine, la communauté des skakouny ou sauteurs, offrait un exemple de cet impudique mysticisme. C’est aux environs de Pétersbourg que les skakouny firent leur apparition ; c’est par la nouvelle capitale, par cette fenêtre ouverte sur l’Europe, que semble avoir pénétré en Russie cette nouvelle folie. La secte paraît d’origine étrangère, occidentale ; elle s’est d’abord montrée au milieu des populations finnoises, des populations protestantes du voisi-