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Peut-être même est-elle née à l’ombre des cloîtres. On a tenté d’expliquer cette anomalie en considérant l’enseignement des lioudi Bojii comme une réaction du bas clergé monastique contre l’âpre domination et le relâchement du haut clergé. Il serait plus naturel de n’y voir qu’une réaction contre le vide formalisme byzantin. Toujours est-il que les murs silencieux des couvents orthodoxes semblent avoir entendu secrètement prêcher le baptême de l’Esprit après le baptême de l’eau. Des communautés entières d’hommes et de femmes, telles que le célèbre couvent Dévitchy à Moscou, auraient été infectées de ces pieuses hallucinations. Des moines, des nonnes surtout, auraient ouvert leurs cellules aux fascinantes délices des tournoyants radéniia. Des prophètes flagellants, à commencer par leur christ Souslof, auraient été ensevelis aux places d’honneur dans des églises orthodoxes, au monastère Ivanovsky notamment. Pour mettre un terme au culte scandaleux que recevaient les reliques des saints khlysty, l’impératrice Anne Ivanovna dut les faire déterrer et livrer aux flammes par la main du bourreau[1].

Le même phénomène s’est reproduit dans la première moitié du dix-neuvième siècle, sous les empereurs Alexandre Ier et Nicolas. Une société de mystiques de ce genre fut découverte, en 1817, dans une propriété impériale, au palais Michel, à Saint-Pétersbourg. Cette société, dissoute par la police, était de nouveau surprise, dans un faubourg de la capitale, vingt ans plus tard. Les réunions de 1817 avaient lieu dans l’appartement de la veuve d’un colonel, sous la direction d’une dame Tatarinof, demeurée célèbre dans les annales du mysticisme russe. Elles étaient fréquentées par des officiers de la garde et de hauts fonctionnaires, en même temps que par des soldats et des gens de service. Là aussi

  1. Sbornik pravit, svéd. o rask., t. II, p. 128. Réoutsky (Lioudi Bojii i Skoptsy) a donné en appendice la liste des prêtres, diacres, moines et religieuses poursuivis comme khlysty, de 1745 à 1752. On en compte 75 ; la plupart sont des religieuses.