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sectaires croient que c’est l’Esprit Saint qui parle par leur bouche. Ils expliquent ainsi comment, le plus souvent, leurs prophètes ne comprennent ni ne se rappellent eux-mêmes ce qu’ils ont prophétisé. Non contents de se procurer des extases et des révélations, certains khlysty ont des recettes pour se procurer des visions. C’est ainsi que, dans leurs radéniia, ils dansent parfois toute une nuit autour d’une cuve pleine d’eau. Lorsque la salle se remplit de vapeurs et que l’eau de la cuve vient à se troubler, les tourneurs en délire tombent à genoux, s’imaginant voir un nuage sur la cuve et dans ce nuage le Christ, sous la forme d’un jeune homme brillant de lumière. Dans toutes les folies de ce genre, il faut faire la part de l’exaltation réciproque des fanatiques, de la contagion magnétique qui accroît le délire des uns de la démence des autres. Ces assemblées d’hommes et de femmes à la recherche de l’extase suscitent des accidents nerveux, des convulsions, des crises de catalepsie et tous ces phénomènes d’hypnotisme que les âmes simples prennent pour des marques d’inspiration ou de ravissement céleste. C’est ce qui s’est vu en France, au dix-huitième siècle, chez les trembleurs protestants des Cévennes et chez les convulsionnaires du cimetière Saint-Médard.

Les hommes de Dieu se divisent en groupes désignés du nom de korabi, c’est-à-dire de navire ou de nef. Cette organisation, analogue à celle des loges maçonniques, est peut-être la raison qui a valu aux khlysty le sobriquet de Francs-Maçons[1]. Chaque korabi, chaque « nef » comprend les flagellants d’une ville, d’un village, d’une région. Chacune a ses prophètes et ses prophétesses dont les inspira-

  1. Introduite en Russie par Schwartz et Novikof, la franc-maçonnerie y prit un rapide développement sous Catherine II et Alexandre Ier. Les loges, déjà fermées par Catherine ; ont été supprimées par Nicolas, en même temps que les sociétés secrètes, qui avaient préparé l’insurrection de décembre 1825. Aujourd’hui il n’existe plus, officiellement du moins, de francs-maçons en Russie. Les emblèmes maçonniques sont exposés dans les musées, à Moscou notamment, comme des monuments archéologiques. Les francs-maçons russes semblent avoir été imbus de tendances mystiques. On s’est parfois demandé s’il n’y avait pas eu de lien entre eux et les khlysty civilisés de Pétersbourg.