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Tandis que celui-ci reçoit le titre de christ, celle-là prend celui de sainte vierge ou de mère de Dieu, bogoroditsa. Il y a ainsi des multitudes de christs et de saintes vierges, sans compter les prophètes et les prophétesses. À quelques femmes les khlysty ont même décerné le titre de déesse (boghiniia). Cette sorte de mystique apothéose est sans doute un des attraits de la secte.

La légende de leur premier christ est une curieuse et enfantine parodie de l’Évangile. Ivan Timoféévitch se choisit douze apôtres avec lesquels il prêcha, sur les bords de l’Oka, les douze commandements de son père Sabaoth. Arrêté sur l’ordre du tsar, le nouveau christ fut flagellé, brûlé, torturé de toute façon, sans que rien lui pût arracher le secret de sa foi. À la fin, il fut crucifié près de la porte sainte du Kremlin ; mais, enterré le vendredi, il ressuscita dans la nuit du samedi au dimanche. Cette légende, effrontément calquée sur le récit évangélique, fut peut-être inspirée à l’origine par le supplice de Kullmann ; elle ne suffit point aux adorateurs d’Ivan Souslof. Pour ce christ de moujiks, ce n’était pas assez d’une passion et d’une résurrection : Ivan Timoféévitch, arrêté de nouveau, est de nouveau crucifié. Pour mieux prévenir tout retour à la vie, les persécuteurs écorchent le cadavre de leur victime ; mais, une femme ayant jeté un linceul sur les membres sanglants du dieu, ce linceul lui reforme une nouvelle peau, et le christ de l’Oka ressuscite une seconde fois pour vivre de longues années sur la terre russe, avant de monter au ciel s’unir à son père.

Pendant plus d’un siècle, les khlysty du centre de l’empire honorèrent pieusement tout ce qui rappelait leurs dieux incarnés, les villages où l’un et l’autre étaient nés, les maisons où ils avaient habité, les lieux où ils avaient été ensevelis avant leur ascension. Regardant d’ordinaire le mariage comme une souillure, ces khlysty en permettaient l’usage aux membres de la famille d’Ivan Souslof ou de Daniel Philippovitch, afin de ne point laisser tarir le