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accusé de mutisme, parce qu’il n’a guère parlé d’autre langue que la religion.


Les hérésies à formes primitives, archaïques, les hérésies mystiques, ont pour caractère commun le prophétisme, la croyance à d’incessantes communications du ciel par l’inspiration et les visions. Selon ces illuminés, la période de révélation n’est pas close, ou elle s’est rouverte pour le monde moderne. Comme il y a des prophètes, il y a encore des incarnations de la Divinité. Le peuple juif n’est pas le seul qui ait eu le privilège de voir descendre dans son sein le fils de Dieu. Telle bourgade des bords du Volga ou de l’Oka prétend à la même gloire que Bethléem. Les paysans de tel district reculé ont entendu de nouveaux christs révéler aux hommes une nouvelle loi. De tous les pays chrétiens, la Russie est celui où de semblables prétentions se sont produites avec le plus de cynisme ou de naïveté ; c’est peut-être le seul où des imposteurs ou des hallucinés puissent encore s’arroger avec succès le nom de Dieu. « Je suis le Dieu annoncé par les prophètes, descendu une seconde fois sur la terre pour le salut du genre humain, et il n’y a pas d’autre Dieu que moi », dit, dans le premier de ses douze commandements, Daniel Philippovitch, le dieu incarné des khlysty[1]. Une telle affirmation caractérise l’état mental d’une partie du peuple ; cet opiniâtre anthropomorphisme recouvre une sorte de paganisme inconscient, d’incurable polythéisme semblable à celui au milieu duquel s’est propagé l’Évangile.

Les deux principales de ces sectes mystiques, deux sectes souvent considérées comme le prolongement l’une de l’autre, sont les khlysty, flagellants ou fouetteurs, et les skoptsy, eunuques ou mutilés. Le nom de flagellants ou de khlysty n’est qu’un sobriquet, faisant allusion à une pra-

  1. S. V. Réoutsky, Lioudii Bojii i skoptsy, Moscou, 1872, p. 77, et Sbornik prav. svéd., t. II, p. 126. — Cf. Dobrotvorsky, Lioudi Bojii, et A. Pechersky, V gorakh.