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prêtres d’être inconséquents, plus d’un culte n’a dû l’existence qu’à des inconséquences de cette sorte. Si le sauvage génie de l’ancienne beipopovstchine n’est point mort, il ne vit plus que dans quelques sectes extrêmes, dans une secte bizarre en particulier, les errants ou stranniki.


Les plus choquantes aberrations des premiers sans-prêtres ont encore été professées en plein dix-neuvième siècle par les errants. Appelés aussi les fuyants (bégouny), ces fanatiques se donnent le nom de pèlerins. Un déserteur du nom d’Ephime, devenu moine dans un des skytes théodosiens, fut leur premier apôtre. L’errantisme est sorti, à la fin du dix-huitième siècle, d’une sorte de réveil, de revival de la bezpopovstchine. La croyance au règne actuel de Satan est la pierre angulaire de l’enseignement des errants. Repoussant comme une apostasie toutes les concessions ou les inconséquences des sans-prêtres modernes, l’errant n’admet aucun compromis avec cette sombre doctrine. Il cesse tout commerce avec les représentants de Satan, c’est-à-dire avec l’État et les autorités constituées. À l’instar des anciens prophètes, il se retire dans la solitude, il s’enfonce dans les forêts, où n’ont point encore pénétré les serviteurs de l’Antéchrist. Il fuit particulièrement les villes, ces maudites Babylones où résident les ministres du Prince des ténèbres. La devise du strannik est cette parole de l’Évangile : « Abandonne ton père et ta mère, prends ta croix et suis-moi ». Avec le vieux réalisme moscovite, avec le réalisme habituel au raskol, il prend ce conseil à la lettre, quittant son champ et sa famille, mettant sa piété à n’avoir pas de foyer sous les cieux.

Il faut dire que cette singulière secte paraît moins étrange en Russie qu’ailleurs. Elle est à coup sûr bien russe, elle semble née de la nature du pays et des penchants du peuple. On sait le goût du moujik pour la vie itinérante, et ce que l’on a souvent appelé ses instincts nomades : l’infini de la terre russe, les larges et bas horizons de ses