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solennîté. C’est moins le chef civil de l’État que le protecteur de l’Église, le défenseur de l’orthodoxie, qui semble mentionné dans les ekténies de la liturgie russe. Or les formules byzantines de très pieux, très fidèle empereur, de souverain orthodoxe, les dissidents se refusaient à les employer pour un prince à leurs yeux tombé dans l’erreur.

Cette question de la prière pour l’empereur fut, au dix-huitième siècle, une des principales causes du schisme des pomortsy et des théodosiens. Les premiers, ayant appris que l’impéralrice Anne envoyait inspecter leurs colonies du Vyg, s’étaient décidés à improviser une liturgie pour le souverain ; les théodosiens leur reprochèrent cette concession comme une apostasie. Les pomortsy avaient cependant, eux aussi, leurs scrupules ; ils consentaient à prier pour le tsar, non pour l’empereur, ce dernier titre étant, selon la plupart des raskolniks, un des noms sous lesquels se masque l’Antéchrist. Si beaucoup de raskolniks, de popovtsy même s’obstinent à ne pas prier pour le souverain, disant que demander à Dieu, conformément au rituel, la victoire de l’autorité sur ses adversaires, c’est demander la ruine de la vieille foi, la plupart des sans-prêtres ne se refusent pas à donner au pouvoir d’autres marques de soumission. Les rigides théodosiens se sont eux-mêmes, à cet égard, singulièrement relâchés de leur sévérité première. Dans les communautés les plus opiniâtres de cette extrême gauche du schisme, la raison et l’esprit de conciliation ont fini par pénétrer. On a vu les théodosiens de Préobrajenski, comme les vieux-croyants de Rogojski, envoyer à l’empereur Alexandre II des adresses de fidélité et à ses enfants des présents de noces. C’est à la tolérance publique de faire le reste, et dans la bezpopovstchine, comme dans la popovstchine, les ennemis, étrangers ou intérieurs, du gouvernement russe ne trouveront pas plus d’encouragement que n’en trouverait un ennemi de la France parmi les protestants français.