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dans le peuple chrétien, dépositaire de la tradition[1]. S’ils ne le comprenaient point, les évéques le sentaient, et c’est ce qui faisait pour eux la gravité et la malignité de la « vieille foi ». « Si nous vous brûlons, si nous vous mettons à la torture, répondait déjà aux premiers raskolniks le patriarche Joachim, ce n’est pas pour votre signe de croix, c’est pour votre révolte contre la Sainte Église. Quant au signe de croix, faites-le comme il vous plaira[2]. »

Dès la fin du dix-huitième siècle, le gouvernement et le clergé s’étaient autorisés de semblables vues pour aplanir aux raskolniks le chemin du retour à l’Église. Il semblait que la permission de conserver les anciens livres et les anciennes cérémonies dût suffire à ramener des hommes qui s’étaient révoltés pour ne point changer les formes du culte. Après plus d’un siècle de résistance, l’autorité ecclésiastique accorda aux vieux-croyants la faculté de garder le rituel en usage avant la réforme de Nikone. Par un oukaze daté de 1800 et inspiré du métropolite Platon, le Saint-Synode consentit à l’ordination de prêtres destinés à officier selon les anciens rites. Aux adhérents de cette nouvelle Église, ou mieux de cette ancienne liturgie, on donna le nom d’édinovertsy, c’est-à-dire unicroyants. C’était à l’aide d’une semblable concession aux utraquistes que l’Église romaine avait terminé la guerre des Hussites. Des pétitions au tsar Alexis attestent qu’un tel compromis eût satisfait les premiers vieux-croyants : un siècle plus

  1. Voyez : V. Solovief : Istoriia i Boudonchnost Teocratii (Agram, 1887), Préface. Cf. Chtchapof : Rousskii raskol staroobriadtchestva.
  2. D’après Mgr Macaire, le métropolite historien, tel aurait été le point de vue du patriarche Nikone. S’il fût demeuré sur le trône patriarcal, il eût accordé aux adversaires de la réforme liturgique, comme il l’a fait à l’archiprêtre Néronof, l’autorisation de se servir des anciens rites. Au lieu de provoquer le schisme, Nikone l’eût ainsi prévenu.
      Selon certains historiens, au contraire, selon Chtchapof comme selon Kostomarof. c’est le caractère et les procédés despotiques de Nikone qui ont provoqué le raskol. À en croire toute une école, l’affaire des vieux livres fui moins la cause que le prétexte ou l’occasion du schisme. La cause véritable aurait été le soulèvement du peuple contre la tendance de l’épiscopat à modifier, au profit du haut clergé, les anciennes relations des laïques et de la hiérarchie.