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l’empereur Nicolas en diocèses, y nommant des évêques qui relevaient de lui seul, faisant en Russie ce que faisait le pape Pie IX en Angleterre, alors qu’en dehors du gouvernement anglais, le Vatican couvrait la Grande-Bretagne d’un réseau de diocèses catholiques. Le raskol eut des évêques parfois déguisés en marchands, et connus seulement de leur troupeau, un épiscopat occulte dont les fonctions furent facilitées par l’argent des dissidents et la corruption de la police. De tous les coins de la Russie, les offrandes affluèrent à la Blanche-Fontaine, devenue comme la Rome des vieux-croyants. Grâce au lien secret qui unit les raskolniks, et qui, dans toutes les provinces, leur fait trouver des amis et un asile, les émissaires du métropolite Cyrille, le successeur russe du Bosniaque Ambroise, parcouraient en sûreté les routes de l’empire.

Un gouvernement comme celui de la Russie, sous le règne d’un prince comme l’empereur Nicolas, ne pouvait voir de bon œil un sujet étranger, établi sur la frontière, parler en pasteur et en maître à des millions de sujets russes. Chez quelques conseillers de la couronne, la Blanche-Fontaine inspira des craintes presque égales aux espérances qu’elle avait suscitées parmi les adversaires du trône. Les esprits timides voyaient déjà le pontife de Bélokrinilsa s’avancer avec les troupes de l’ennemi, soulevant sur son passage la foule des vieux-croyants. « Que serait-ce, disaient-ils, en cas de guerre avec l’Autriche, si, en avant des bataillons autrichiens, marchait le métropolite Cyrille revêtu des anciens vêtements patriarcaux ! En donnant la bénédiction avec la croix à huit branches, il ferait à la Russie cent fois plus de mal que les canons autrichiens[1]. » Ces terreurs étaient aussi exagérées que les calculs des fauteurs étrangers de la nouvelle métropolie. Les défenseurs des vieilles mœurs russes, les représen-

  1. Ainsi s’exprimait un mémoire rédigé pour le grand-duc Constantin par Melnikof, Zapiska o rousskom raskolé, Sbornik prav. svéd. o rask., t. I, p. 193.