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pour ne pas les scandaliser, les chefs de l’émigration s’abstenaient, dit-on, de fumer en leur présence. Toute tentative d’action commune échoua néanmoins devant l’opposition des principes. De cet essai infructueux il n’est resté que la publication de quelques-uns des plus importants documents que nous possédions sur le raskol[1].

Des Polonais eurent des vues plus vastes encore. Le point d’appui au dedans de la Russie, que la plupart de leurs compatriotes cherchaient en vain aux frontières de l’empire, dans l’Ukraine et la Petite-Russie, quelques émigrés crurent le trouver au cœur même de l’ennemi, chez les vieux-croyants. Il s’ourdit une vaste intrigue, depuis dévoilée dans les feuilles russes par l’homme qui y prit la principale part. Un Polonais, alors au service de la Porte Ottomane, conçut l’idée hardie de donner aux vieux-croyants un centre religieux en dehors de la Russie pour mettre la direction du schisme au service des ennemis du tsar. C’étaient les sectes hiérarchiques qui, par leur principe et par leurs colonies sur le territoire de la Turquie et de l’Autriche, se prêtaient le mieux à ce projet de concentration. Il y avait, sur la frontière de la Russie, dans la Dobrudja, une colonie de Cosaques vieux-croyants sortis du territoire russe, au dix-huitième siècle, à la suite d’une insurrection, et demeurés en relation avec leurs frères, les Cosaques de l’intérieur de l’empire. L’émigré polonais, devenu bey et pacha, entra en rapport avec ces Cosaques de la Dobrudja. Faisant miroiter à leurs yeux le rétablissement de l’ancienne foi et de l’ancienne liberté cosaque, le pacha polonais leur fit entrevoir, dans

  1. Le Sbornik pravitelstvennykh svédénii o raskolnikakh, et le Sobranie pravitelstv. postanovlénii o rask., l’un et l’autre publiés à Londres par l’imprimerie de Herzen, à l’aide de papiers dérobés aux chancelleries russes. L’éditeur de ces documents et le principal intermédiaire entre Herzen et les vieux-croyants, Kelsief, était un ancien séminariste, enclin à la fois au mysticisme et au socialisme. Après avoir parcouru l’Orient et cherché à y fonder, avec des starovères, une sorte de phalanstère, Kelsief découragé revint se livrer à la police russe, qui le mit en liberté. Il est, dit-on, mort fou.