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raskol. Il se produisait souvent parmi eux des divisions, des rivalités, qui séparaient les vieux-croyants de rite voisin en groupes divers. Aussi les deux branches du schisme cherchèrent-elles à se créer un centre au cœur même de l’empire, à Moscou. Elles y parvinrent toutes deux en même temps, et cela, chose inespérée, avec l’aveu du gouvernement. C’est à la faveur d’une calamité publique, de la peste de Moscou sous Catherine II, qu’eut lieu cette heureuse révolution dans la position des sectaires. Les grandes épidémies, en rejetant violemment le peuple vers la religion et les vieilles croyances, sont souvent favorables aux raskolniks. On l’a remarqué lors du choléra au dix-neuvième siècle, comme lors de la peste au dix-huitième. Dans son impuissance contre le fléau, l’administration impériale avait fait appel à tous les dévouements. Les raskolniks, qui de tout temps se sont distingués par leur esprit d’initiative, offrirent d’établir à leurs frais un cimetière et un hôpital pour leurs coreligionnaires. Le gouvernement de Catherine II était trop « éclairé » pour leur en refuser l’autorisation ; elle leur fut accordée en 1771, et, presque la même année, les bezpopovtsy, à Préobrajenski, les popovtsy, à Rogojski, fondèrent les deux établissements qui depuis sont restés les foyers religieux du raskol. Sous le voile de la charité, la création des deux cimetières fut pour le schisme un nouveau mode de constitution. C’est ainsi que, durant l’ère des persécutions, les chrétiens du troisième siècle avaient obtenu de Rome encore païenne une sorte de reconnaissance officielle, à titre de « collèges funéraires »[1].

Les cimetières des raskolniks ne s’enfouirent pas au fond d’obscures catacombes. Sur des terrains encore déserts surgirent, dans les faubourgs de Moscou, deux vastes établissements sans analogues peut-être en Europe. Le cimetière fut entouré de murailles, et dans l’enceinte

  1. Rossi, Roma Sotterranea, t. I