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moins exagérées. Ce qui est vrai, c’est qu’au dix-neuvième siècle la force principale du schisme a été dans la bourse. L’argent est devenu le nerf du raskol ; le rouble a été la grande arme des raskolniks, pour leur défense comme pour leur propagande.

Il y a des régions entièrement assujetties à la domination économique des vieux-ritualistes. Tel, par exemple, le district de Séménof, dans le gouvernement de Nijni. Ils monopolisent certaines branches d’industrie, à tel point qu’on voit des ouvriers ou des paysans passer au schisme pour obtenir du travail. C’est ainsi que la fabrication de ces cuillers de bois, qui pénètrent dans toute l’Europe, est presque entièrement aux mains des raskolniks[1]. Leur esprit de solidarité a été entretenu par de longues persécutions, et l’assistance mutuelle qu’ils se prêtent les uns aux autres leur donne une grande force vis-à-vis de leurs concurrents. Comme, en d’autres contrées, on en a souvent fait le reproche aux Juifs, ils forment entre eux une sorte de franc-maçonnerie. Cette solidarité s’étend parfois jusqu’aux membres de sectes différentes. En dépit de leurs querelles intestines, sorte de guerre civile du schisme, ils se coalisent à l’occasion contre l’ennemi commun. Ils ont entre eux des signes de reconnaissance, tels que des anneaux ou des chapelets, ou encore des cuillers de bois, peintes spécialement pour eux, avec des emblèmes particuliers. Leurs chapelets sont d’un ancien type commun aux popovtsy et aux sans-prêtres : il y en a de tout prix et de toute matière, de bois et de pierres précieuses. Séménof, où est le centre de cette pieuse industrie, expédie de ces chapelets dans tout le monde du raskol, jusqu’au delà des lointaines frontières de l’empire ; ils voyagent d’autant plus facilement qu’il est malaisé de les prohiber.

Grâce aux liens que noue entre les dissidents la communauté de croyance, le schisme a parfois pu être consi-

  1. Bezobrazof, Études sur l’économie nationale de la Russie, II, p. 75.