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chie, comme en Moldavie, la Turquie, sur plusieurs points de son territoire, en Europe et en Asie Mineure.


La force du schisme n’est pas toute dans le nombre ou dans la diffusion de ses adhérents, elle est dans les classes où se transmet l’ancienne foi. Objet des mépris du Russe civilisé, c’est dans le peuple ou dans les classes sorties du peuple, chez le paysan, chez l’artisan, chez le marchand, que se recrute le raskol. La noblesse lui est entièrement fermée[1]. En d’autres pays, cette localisation dans les couches inférieures de la nation eût pu être une cause de faiblesse ; dans la Russie du servage, c’était une garantie d’existence. Le schisme est une des suites de cette rupture de la société russe en deux mondes étrangers l’un à l’autre, en deux peuples sans sympathies réciproques, que nous avons signalée comme une des conséquences de la violente réforme de Pierre le Grand. L’épaisse muraille que le dix-huitième siècle avait élevée, entre le peuple et les classes instruites, a servi de rempart aux superstitions et aux sectes populaires. Le raskol a grandi derrière le dédain de la noblesse, comme derrière un retranchement, protégé contre les attaques de la civilisation par le mépris même des classes civilisées. Confinées dans le peuple, les hérésies moscovites étaient si bien à couvert que, pendant plus d’un siècle et demi, elles restèrent presque entièrement inconnues des hommes qui eussent pu les combattre. C’est seulement à une époque récente que les Russes instruits ont eu la curiosité de pénétrer dans l’obscur dédale des croyances de la plèbe dissidente. Ce simple mouvement d’intérêt est un symptôme du rapprochement des classes, et c’est à ce rapprochement plus qu’à toute chose, c’est à la sympathie mutuelle des deux moitiés de la na-

  1. Il n’y a guère d’exception que parmi les Cosaques. Chez les Cosaques du Don notamment, au nombre des vieux-croyants se trouvaient quelques familles appartenant officiellement à la noblesse.