Nous étudions le sentiment religieux en Russie ; mais le peuple russe est-il vraiment religieux, est-il vraiment chrétien ? Les vagues et grossières croyances du moujik méritent-elles le nom de religion ; ses confuses notions sur la vie et sur le monde proviennent-elles bien de la foi chrétienne ? Beaucoup de ses compatriotes le contestent. Pour un grand nombre de Russes, la Russie n’est ni religieuse ni chrétienne. À Pétersbourg, à Moscou même, cela est devenu une sorte d’axiome. Des hommes, d’opinions d’ailleurs fort diverses, sont là-dessus d’accord. À les en croire, le moujik n’a de la religion que l’apparence ; il n’a de chrétien que les dehors. En certains cercles, ce n’est pas là seulement un lieu commun, c’est aussi une prétention nationale. On est disposé à s’en faire gloire, oubliant que, s’il y a là une part de vérité, la cause en est surtout au peu de culture du pays. Déjà, sous Nicolas, l’un des oracles de la pensée russe, Biélinsky écrivait à Gogol, si je ne me trompe : « Regardez bien le peuple et vous verrez qu’au fond il est athée. Il a des superstitions, il n’a pas de religion. » À plus d’un Pétersbourgeois cela semble préférable.