Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la plupart, ce n’est pas trop de le quintupler, de le sextupler ; selon plusieurs, il faut monter au-dessus de 12 millions, peut-être au-dessus de 15 millions d’âmes. L’absence de toutes données positives explique ces divergences. Un des premiers statisticiens de la Russie me disait avoir consulté, à ce sujet, les chefs du raskol venus à Pétersbourg pour les affaires de leur culte. « Nous sommes nombreux, avaient-ils répondu, mais nous ne savons combien nous sommes. » Personne ne le sait, et cette obscurité n’est pas la moindre singularité ni la moindre force du raskol.

Les statistiques gouvernementales ne comptent à l’actif du schisme que les dissidents qui, depuis plusieurs générations, ont réussi à échapper aux registres des paroisses du clergé orthodoxe. Ce n’est naturellement que le petit nombre. En dehors de ces raskolniks déclarés, il y a tous ceux que les actes publics continuent à inscrire parmi les orthodoxes ; il y a tous les raskolniks déguisés qui craindraient de s’exposer à des poursuites ; il y a enfin toutes les sectes secrètes ou prohibées qui fuient obstinément la lumière. À défaut de recensement, il est une classe de documents d’où se peuvent tirer quelques données approximatives sur le nombre des dissidents. Ce sont les rapports des hauts-procureurs du Saint-Synode sur la fréquentation des sacrements dans l’Église officielle. Le Règlement Spirituel de Pierre le Grand remarquait déjà que l’éloignement pour l’eucharistie était le meilleur indice auquel se pût reconnaître un raskolnik. Or, sur les listes officielles, parmi les gens inscrits comme n’ayant pas participé aux sacrements, ont longtemps figuré plusieurs catégories de fidèles qui paraissaient appartenir au schisme. L’analyse du tableau des confessions et communions pascales avait conduit, vers 1860, à estimer à 9 ou 10 millions le nombre des dissidents[1]. Ce chiffre serait sans doute aujour-

  1. Schédo-Ferroti, La tolérance et le schisme religieux en Russie, p. 153-54. Le comte Pérovsky, ministre de l’intérieur, dans un rapport secret à l’empereur Nicolas, arrivait déjà au même chiffre.