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russes prennent à la lettre. C’est ce qu’ils appellent son ascension au ciel ; ils l’ont, affirme-t-on, fait graver à leur usage ; c’est pour eux un signe de reconnaissance. Selon ses adorateurs, Napoléon n’est point mort, il s’est échappé de Sainte-Hélène et est allé chercher un refuge au bord du lac Baïkal, au fond de la Sibérie, d’où il doit revenir un jour pour renverser le trône de Satan et établir le règne de la justice et de la paix.

Le fond de toutes ces espérances millénaires était la suppression de la corvée et de l’obrok, l’émancipation des paysans, le partage équitable des terres et des biens de ce monde. Un tel évangile, mêlant à des promesses de liberté des rêves d’un vague communisme, devait recevoir bon accueil d’un peuple de serfs. Là est l’explication des faciles succès de tant de sectes bizarres, de tant de faux prophètes et de faux messies. De semblables songes onl, en Occident, soulevé les pastoureaux du moyen âge et les anabaptistes du seizième siècle : ils doivent peu à peu disparaître avec la servitude qui les engendrait. Cet âge de liberté, pressenti par le moujik, ce royaume de Dieu, entrevu dans les promesses de ses prophètes, est enfin arrivé ; le messie, le libérateur du peuple a paru, et son règne a commencé. L’affranchissement des serfs a porté un grand coup à ces rêves millénaires ou messianiques, parlant aux sectes extrêmes ; c’est au progrès de l’instruction et au progrès de la richesse d’en achever la ruine.

Les sectes dont nous venons d’esquisser l’évolution nous paraissent souvent ridicules et toujours enfantines. Nous sommes tentés de prendre en dédain le peuple dupe de telles aberrations : ce serait nous tromper. Partout la débile raison humaine a aisément accueilli l’extravagance sous le couvert de la religion. Il est des pays d’une culturc plus ancienne ou plus populaire qui, sous ce rapport, ne le cèdent guère à la Russie. Le raskol russe a sa contre-partie dans les sectes de l’Angleterre et des ÉtatsUnis d’Amérique. Entre les puritains et les vieux-croyants,