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grandes persécutions contre le raskol, au dix-huitième siècle, ces sacrifices humains s’accomplissaient en masses. Les sectaires cherchaient dans les flammes un refuge contre la poursuite des soldats et les tentations du jugement ou de la question. Il y a eu mainte fois de ces autodafés, « vrais actes de foi », de cent et deux cents personnes. On calcule qu’en Sibérie et sur les confins de l’Oural, il est mort ainsi des milliers de chrétiens. Les « brûleurs d’eux-mêmes » (samosojigatéli) s’entassaient sur de vastes bûchers entourés de fossés ou de palissades pour qu’il n’y eût pas de désertion.

De semblables fureurs n’ont pas été inconnues du dixneuvième siècle. On en cite çà et là des exemples jusque sous Alexandre III ; en 1883, un paysan du nom de Joukof se brûlait en chantant des cantiques. Le baptême du sang, « la mort rouge », considéré comme aussi efficace que le baptême du feu, est peut-être demeuré moins rare. Il se rencontre surtout parmi les parents désireux d’arracher leurs enfants aux séductions du prince des ténèbres. En 1847, un moujik du gouvernement de Perm avait ainsi résolu d’ouvrir d’un coup le ciel à toute sa famille ; la hache lui étant tombée des mains avant l’achèvement de sa sinistre besogne, il était venu lui-même se livrer à la justice. Un autre paysan, du gouvernement de Vladimir, traduit devant les tribunaux pour avoir immolé ses deux fils, répondait qu’il avait voulu les sauver du péché ; et pour les rejoindre, il se laissait mourir de faim en prison.

Une légende symbolique mise en vers par un poète raskolnik, la légende « de la femme Alleluia », justifie ces féroces marques d’affection paternelle. La femme Alleluia tenait, un jour d’hiver, son fils dans ses bras, devant son poêle allumé. Tout à coup entre dans l’izba Jésus enfant, qui demande un asile pour échapper à la poursuite de ses ennemis. La femme cherche en vain une cachette. « Jette ton fils dans le poêle, dit Jésus, et prends-moi dans tes bras à sa place. » Elle obéit, et quand arrivent les ennemis