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Par son principe, le raskol est conservateur, réactionnaire même ; par son attitude vis-à-vis de l’Église et de l’État, par les habitudes que lui ont données deux siècles d’opposition et de persécution, il est révolutionnaire, parfois même anarchique. Il y a entre toutes les autorités une secrète connexité ; le rejet de l’une mène au rejet de l’autre. Une fois, dit un historien russe[1], qu’il a repoussé une autorité, l’homme se montre enclin à s’affranchir de toute puissance, à s’émanciper de tous les liens sociaux et moraux. Ainsi les Hussites en rébellion contre Rome aboutissent vite aux Taborites en rébellion contre la société ; ainsi Luther mène aux anabaptistes. Le même phénomène s’est répété en Russie, comme en Angleterre et en Écosse. Une fois entraîné par l’esprit de révolte, le schisme a été, malgré lui, poussé vers la liberté ; certaines de ses sectes sont arrivées, en théorie comme en fait, à la licence la plus effrénée. Il y a là un de ces contrastes si fréquents en Russie, une anomalie apparente qui fait que, dans sa patrie, le raskol a été jugé de tant de manières différentes. Les plus opposées de ces vues ont une part de vérité. Ce mouvement, réactionnaire dans son point de départ, a pu être regardé comme une revendication de la liberté individuelle et de la vie nationale, vis-à-vis du gouvernement et de l’autocratie. Et de fait, il l’a été à sa manière, à la façon des réfractaires et des contrebandiers, à la façon des défenseurs des abus et des préjugés. Ce que revendiquaient les starovères, c’était bien la liberté, telle que l’homme du peuple l’entendait, liberté de ses mœurs et de ses allures, liberté de ses superstitions et de son ignorance, sans que cela eût rien de commun avec la liberté politique. S’il repousse tout ce qui vient de l’étranger, le vieux-croyant peut être réformiste en ce qui lui semble conforme à la tradition nationale, conforme aux intérêts du peuple, du paysan et de l’artisan. Comme tout mouvement populaire,

  1. Solovief, Istoriia Rossii, t. XIII, p. 143.