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tentant de nombres approximatifs, les sectaires ont découvert le chiffre diabolique dans le nom de la plupart des souverains russes, de Pierre le Grand à Nicolas. S’ils se permettent de pareilles altérations, c’est, disent-ils, que, pour se dissimuler, la bête fausse le chiffre qui doit la désigner, en sorte qu’on peut aussi bien la reconnaître sous le nombre 662 ou 664 que sous le nombre 666. Passant de chaque souverain à l’empereur en général, les raskolniks ont démasqué le chiffre de la bête dans le titre impérial. Par un singulier hasard, pour tirer le nombre apocalyptique du mot imperator, ils n’ont qu’à supprimer la seconde lettre, ce qui leur fait dire que l’antéchrist cache son nom de perdition sous la lettre M[1]. Par une rencontre non moins bizarre et non moins fâcheuse, le concile de Moscou qui, après la déposition de Nikone, excommunia définitivement le schisme, avait été convoqué en l’année 1666, C’était là le chiffre fatal ; il ne fut révélé aux raskolniks que par la réforme du calendrier, lorsque Pierre substitua l’ère du Christ à l’ère datée de la création. Les vieux-croyants ne manquèrent pas d’en être frappés ; ce fut pour eux comme une arme fournie par leurs adversaires. Cette année devint la date de l’avènement de Satan. Non contents d’avoir fait de leurs souverains une série de ministres du démon, certains de ces défenseurs de la vieille Russie ont, à l’aide d’une anagramme, fait de leur propre patrie la mystérieuse contrée maudite des livres saints. C’est la Russie, Russa, qu’ils reconnaissent dans l’Assur de la Bible ; c’est à elle qu’ils appliquent les anathèmes des prophètes contre Ninive et Babylone.


Pour les raskolniks, le signe de l’enfer ne fut pas seulement dans le titre et le nom de leurs souverains, il fut dans toutes leurs innovations, dans toutes leurs importa-

  1. Sobranié ot sviatago Pisaniia o Antikhristé ; Sbornik pravitelstv. svédénii o rask, t. II, p. 257. Comparer le tome Ier p. 179.