Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sainte Russie. Dans le cours même du dix-neuvième siècle, les plus petits comme les plus grands événements de la vie de Pierre Ier, ses vices, comme sa gloire, ont servi de preuves à sa mission de perdition. Remportait-il, après de terribles revers, d’insignes victoires, c’est que, aidé du diable et de la franc-maçonnerie (farmazia), il faisait des prodiges. A-t-il dépassé en puissance tous les souverains russes et tous les vieux bogatyrs, c’est que Satan est le prince de ce monde, et que son ministre s’y devait faire adorer comme un dieu. Les faits les plus simples sont interprétés de la même façon. Si Pierre se faisait appeler Auguste et célébrait le commencement de l’année au 1er janvier, avec des fêtes et des images allégoriques, c’est qu’il voulait restaurer le culte des faux dieux et « l’antique idole romaine Janus[1]. » Dans ces fables ridicules, dans cette incapacité de comprendre qu’on se puisse servir d’un emblème ou d’un nom païen sans revenir au paganisme, se reconnaît un des trails fondamentaux du raskol, son symbolisme réaliste, sa manière matérielle d’entendre les images, les allégories, les mots.

La présence de l’antéchrist une fois découverte, les sinistres descriptions des prophètes furent aisément appliquées à la Russie et à son gouvernement. Avec leur penchant à chercher de mystérieuses énigmes dans les noms et les nombres, les fanatiques n’eurent pas de peine à retrouver toute l’Apocalypse dans la Russie nouvelle. Ils cherchèrent le chiffre de la bête dans le nom même de Pierre et de ses successeurs. Chaque lettre ayant, chez les Slaves comme chez les Grecs, une valeur numérique, il s’agit, en additionnant le total des lettres d’un nom, d’en former le chiffre apocalyptique de 666 (Apocalypse, xiii, 18). En intercalant, doublant ou supprimant quelques caractères et en se con-

  1. Toutes ces allégations se trouvent dans un écrit composé vers 1820 et imprimé à Londres en 1861, sous le titre de Sobranié ot sviatago Pisaniia o Antikhristé, dans le deuxième tome du Sbornik pravitelstv. svédénii o rask, p. 254, 260.