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caprice la vie privée, comme les affaires publiques. Dans la Russie nouvelle de Pierre Ier le Vieux-Moscovite ne pouvait reconnaître sa patrie ; il était dépaysé dans son propre pays. Des vêtements étrangers choquaient ses yeux, des appellations administratives étrangères frappaient de tous côtés son oreille. La perturbation était partout, dans les noms et dans les choses, dans le calendrier comme dans les lois, dans l’alphabet comme dans les modes et le costume. Au lieu du 1er septembre, le premier de l’an était le 1er janvier ; au lieu de compter les années à partir du commencement du monde, on comptait, comme les Latins, depuis la naissance du Christ. Les vieilles lettres slavonnes, consacrées par les anciens missels, étaient déformées, plusieurs rejetées par ordre du souverain. Le vêtement des hommes était modifié et leur menton rasé, le voile était arraché du front des femmes. Quelle émotion pouvait ressentir, d’une telle succession de secousses, une nation obstinément attachée aux coutumes de ses ancêtres ? C’était comme un tremblement de terre qui ébranlait la vieille Russie jusqu’en ses fondements.

De ces changements, tous empruntés à l’Occident, c’està-dire aux Latins ou aux protestants, un grand nombre avaient, pour le peuple, une valeur religieuse. En touchant à l’ancien calendrier, à l’écriture slavonne, au costume national, Pierre le Grand continuait, aux yeux de ses sujets, la révolution commencée par Nikone. L’assimilation paraissait si naturelle que, pour les vieux-croyants, l’œuvre de l’un ne fut que la suite et la conséquence de celle de l’autre. Cette idée se formula dans une légende séditieuse qui fit de Pierre le fils adultérin de Nikone. La répulsion du vieux Russe pour les innovations du patriarche s’accrut de sa répugnance pour les innovations de l’empereur ; son opposition aux réformes civiles s’étaya de sa résistance à la réforme liturgique. La révolte des mœurs se couvrit d’un manteau religieux parce qu’elle avait été provoquée par une mesure ecclésiastique et, plus encore,