Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la rapprocher de l’Occident. En laissant toucher à ses cérémonies traditionnelles, le Russe pouvait craindre de se laisser romaniser et, comme les grecs-unis de Pologne, d’être à son insu incorporé à l’empire spirituel des papes. C’était par une aveugle fidélité à l’orthodoxie que le vieux-croyant se soulevait contre la hiérarchie orthodoxe. Dans leur crainte de toute corruption de l’Église, le peuple et le clergé tenaient en suspicion tous les étrangers, même leurs frères dans la foi, que les tsars ou les patriarches appelaient de Byzance ou de Kief. Demeuré, seul de tous les peuples orthodoxes, indépendant de l’infidèle ou du catholique, le Russe se regardait comme le peuple de Dieu élu pour conserver sa foi. Avec la présomption et l’entêtement de l’ignorance, ce pays, longtemps détaché de l’Europe, repoussait tout ce qui lui en venait. Dans leur haine contre l’Occident, contre ses Églises et sa civilisation, certains vieux-croyants en excommuniaient la langue théologique et savante. À la fin du dix-huitième siècle, un de leurs écrivains s’indignait contre les prêtres orthodoxes de la Petite-Russie, dont beaucoup, disait-il, « étudient la trois fois maudite langue latine ». Il leur reprochait de ne point regarder comme un péché mortel d’appeler Dieu Deus, et Dieu le père pater[1] comme si la Divinité ne pût avoir d’autre nom que le slave Bog, ou comme si le changement de mot changeait le Dieu. La résistance faite par les starovères à la correction du nom de Jésus est dans le même esprit. Conservant la forme populaire corrompue de Issous, ils repoussèrent comme diabolique la forme Iissous, directement dérivée du grec. À de tels traits on sent un peuple isolé par la géographie et l’histoire, et comme enfermé dans sa propre immensité, une sorte de Chine chrétienne, ne connaissant et ne voulant connaître qu’elle-même.

  1. Sinaksar o podvigakh stradalisef Pokrovskago monastyria soverchivchikhsia v 1791 gudou. Kelsief : Sbornik pravitelstvennykh svédénii o raskolnikakh, t. II, p. 225.