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d’innovation, les vieux-croyants ne faisaient qu’outrer le principe de leur Église. Peu importe que la prétention des starovères fût mal justifiée, que le parti qui se réclamait le plus de l’antiquité eût le moins de titres à l’antiquité ; les vieux-ritualistes, en se laissant martyriser pour les anciens livres, n’étaient que les aveugles victimes de l’immobilité systématique du byzantinisme.

Le principe du raskol est essentiellement réaliste. Sous ce matérialisme du culte se laisse cependant découvrir une sorte d’idéalisme grossier. Les aberrations religieuses ont toujours un côté élevé, dans la déraison même. Tout n’est point ignorante superstition dans l’attachement scrupuleux du starovère pour ses cérémonies traditionnelles. Cette vulgaire hérésie n’est, en somme, qu’un ritualisme excessif et logique jusqu’à l’absurde. Si le vieux-croyant révère ainsi la lettre, c’est qu’à ses yeux la lettre et l’esprit sont indissolublement unis, que, dans la religion, les formes et le fond sont également divins. Pour lui, le christianisme est quelque chose d’absolu, le culte aussi bien que le dogme ; c’est un tout complet dont toutes les parties se tiennent : à ce chef-d’œuvre de la Providence, nulle main humaine ne peut toucher sans le défigurer. À chaque parole, à chaque rite, le starovère cherche une raison cachée. Il se refuse à croire qu’aucune des cérémonies, aucune des formules de l’Église soit vide de sens ou de vertu. Pour lui, rien d’accessoire, rien d’indifférent ou d’insignifiant dans le service divin. Tout est saint dans les choses saintes, tout est profond et mystérieux, tout est incommutable et adorable dans le culte du Seigneur. Sans pouvoir formuler sa doctrine, le starovère fait de la religion une sorte de figure achevée, de représentation adéquate du monde surnaturel. Ainsi compris, le vieux-croyant, qui se faisait brûler vif pour un signe de croix, et arracher la langue pour un double alleluia, devient éminemment religieux ; ce qui l’égaré, c’est en quelque sorte l’excès de religion. Son formalisme a pour principe le symbolisme,