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que la peinture, la prédication fut enfermée dans des lignes rigides et mortes. À l’invention, à l’imitation même, l’Église préféra la reproduction, la copie servile des modèles consacrés ; on conçoit qu’elle se défiât de la langue d’un clergé ignorant. Ne pas exposer le dogme était un moyen de ne pas le dénaturer. « Les Russes, disait l’envoyé moscovite à Paul Jove, ne souffrent pas de sermons dans leurs églises, afin de n’entendre que la parole de Dieu dégagée de toute subtilité humaine. » À la prédication s’était substituée la lecture des Pères et des livres autorisés.

La parole vivante n’est rentrée dans l’Église russe que sous l’influence de l’Occident et de Kief, à l’époque de Pierre le Grand ; encore se trouva-t-il des gens pour se scandaliser ou s’inquiéter de cette importation étrangère. Le Règlement spirituel de Prokopovitch constate lui-même que peu de prêtres étaient capables d’enseigner par cœur les dogmes et les préceptes de l’Église. Pour ne pas laisser le peuple sans aucunes notions religieuses, le Règlement recommandait de lui faire des lectures entre les offices. On avait, à cet usage, rédigé des traités approuvés par le synode ; mais ces livres, émaillés de locutions slavonnes et mal lus par le pope, restaient souvent inintelligibles aux masses. Jusqu’à cette fin de siècle leur foi n’a guère eu d’autre aliment. Le catéchisme, qui ne pouvait s’enseigner aux illettrés que de vive voix, était presque aussi négligé que la prédication. En fait, le Russe orthodoxe s’est, durant des centaines d’années, passé de toute instruction religieuse. On se demande comment pouvait se transmettre la foi ; il est vrai qu’aujourd’hui encore nombre de moujiks en ignorent les dogmes essentiels ; beaucoup ne savent même pas leurs prières. Quand la vigne du Seigneur était ainsi laissée en friche par les mains chargées de la cultiver, comment s’étonner d’y voir partout lever l’ivraie de l’hérésie et les folles herbes des sectes ?

De Pierre le Grand jusque vers l’avènement d’Alexandre III la prédication est restée presque entièrement con-