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fonctions. Après cela, on comprend que plus d’un sceptique doute encore de l’aptitude du clergé à l’enseignement.


Ce n’est pas seulement dans l’école que le clergé doit contribuer à l’instruction du peuple, c’est aussi dans l’église. La participation à l’enseignement scolaire ne lui doit pas faire délaisser son mode propre d’enseignement, la prédication. À ce point de vue, il y a beaucoup à faire dans les pays orthodoxes ; le prêtre y avait presque abandonné une de ses plus importantes fonctions : le pope ne prêchait point ou prêchait peu. L’institution par laquelle le christianisme a peut-être le mieux servi le progrès de la moralité, l’humble sermon du curé, l’Église grecque, qui, dans son premier âge, eut tant de grands orateurs, l’avait, aux derniers siècles, laissée tomber en désuétude[1]. Cet abandon n’était pas uniquement imputable à l’ignorance du clergé gréco-russe ou au génie des gouvernements autocratiques ; il était, en partie, la conséquence de l’esprit de l’Église. Tandis que la Réforme, appuyée sur le libre examen et l’interprétation individuelle, faisait du prêche la principale fonction ecclésiastique, l’orthodoxie orientale, rivée à la tradition, laissait ses ministres renoncer à l’exposition de la foi, comme si, en la livrant à leurs commentaires, elle eût craint de la leur voir défigurer. La chaire, qui, dans le temple protestant, s’est emparée de la place de l’autel, est généralement absente des églises orthodoxes. L’Orient, fatigué de ses nombreuses hérésies, finit par prendre en soupçon la parole vivante. L’initiative individuelle, la libre inspiration, l’improvisation excitèrent ses défiances dans l’éloquence comme dans l’art, dans la représentation orale de la foi comme dans ses représentations figurées. Ainsi

  1. L’absence de toute prédication des églises moscovites frappait les étrangers, « L’on n’y prêche jamais ; ains, à quelques fêtes, ils ont certaines leçons qu’ils lisent dans quelque chapitre de la Bible ou Nouveau Testament. » Ainsi s’exprime, au commencement du dix-septième siècle, le capitaine Margeret : Estat de l’Empire de Russie ou grande-duché de Moscovie.