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précaire. Là même, l’insuffisance ou l’irrégularité des pluies, la sécheresse, contre laquelle ses prières implorent en vain pendant des mois la clémence du ciel, expose le cultivateur à voir des récoltes misérables succéder à de magnifiques. Aussi a-t-il fallu, dès longtemps, instituer dans chaque commune des greniers de réserve, qui, mal surveillés, trahissaient l’espérance publique, et laissaient les disettes aboutir à des famines. Nul pays de l’Europe n’a plus longtemps et plus horriblement souffert de ce mal, dont la facilité des voies de communication a pour jamais affranchi l’Occident. C’étaient des famines comme celles de l’Asie ou de l’Afrique, comme nous en avons encore vu de nos jours dans l’Inde ou dans la Perse, qui font périr en une année jusqu’à un cinquième ou un quart de la population. Dans notre siècle même, la Russie a éprouvé de ce fait des souffrances qu’on croirait impossibles en Europe.

La rigueur du climat condamnait la vieille Moscovie à de fréquentes famines ; sa position géographique la livrait souvent à un fléau non moins terrible. Le contact de l’Asie l’a, pendant des siècles, soumise à des invasions plus dangereuses que celles des Mongols ou des Tatars, à l’invasion d’épidémies asiatiques. Innombrables sont les pestes enregistrées, à côté des famines, par les annalistes de la Moscovie, et, sous le nom de peste noire, de mort noire, le choléra y a peut-être mis le pied bien avant d’avoir apparu dans le reste de l’Europe. Aux maladies venues de l’Asie, les animaux et le bétail n’échappent pas plus que l’homme ; la peste sibérienne est encore aujourd’hui la terreur des paysans. Épidémies et famines, s’abattant pendant des siècles sur chaque génération, n’ont pas moins affecté le tempérament moral des Russes que la richesse de la Russie.

Tout ce qui rend la vie précaire, tout ce qui semble la mettre dans la dépendance de causes extérieures à la nature, porte l’homme à implorer plus vivement un secours