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résultat ; ils sont la conséquence des souffrances, des misères, des dédains, pour ainsi dire, accumulés dans la classe sacerdotale. Le clergé blanc lui-même n’a point d’opinion ; affaissé sous le double fardeau de la vie matérielle et de l’autorité religieuse, il n’en peut guère avoir. Raisonnées ou non, ses tendances sont différentes de ce que sont aujourd’hui, dans la plus grande partie de l’Europe, les tendances du clergé. Au lieu d’être toujours attaché aux intérêts aristocratiques ou conservateurs, le clergé russe, le clergé blanc, au moins, a des instincts populaires, démocratiques. Plus d’un prêtre est taxé de nihilisme ; c’est là, il est vrai, un mot dont on fait un singulier abus. À cet égard, comme à beaucoup d’autres, il y a, entre les popes et le haut clergé monastique, une opposition naturelle. Les premiers n’ont pas assez lieu d’être satisfaits de l’ordre social pour redouter les innovations dont s’effrayent les chefs de l’Église. Ce qui, chez le prêtre, n’est qu’un instinct, devient, chez ses fils, une conviction, une doctrine calculée.

Le contraste entre la haute vocation et l’humble position du prêtre choque de bonne heure le jeune séminariste ; les obstacles qu’il rencontre au début de sa carrière blessent son orgueil ; les préjugés qui le poursuivent à travers la vie l’irritent. De là l’esprit démocratique et novateur, quelquefois radical et révolutionnaire, des fils de popes. Ils ne gardent souvent pas plus d’affection ou de respect pour l’ordre religieux que pour l’ordre social. En sortant de ses écoles, ils se révoltent contre l’Église, qui, pour eux et pour leurs pères, n’était qu’une marâtre ; ils se raidissent contre la compression spirituelle de leur éducation. Dans ces esprits ulcérés et impatients de toute autorité, la réaction contre les doctrines traditionnelles va parfois jusqu’aux dernières extrémités. On a remarqué qu’au dix-huitième siècle les philosophes les plus téméraires et les plus violents révolutionnaires étaient sortis des écoles du clergé. Les presbytères russes ont donné naissance à des