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des laquais (v lakeiskoï), et de ne les recevoir que pour leur adresser des réprimandes ou des menaces. Aujourd’hui, au moins, ils n’appellent plus leurs curés en public ivrognes ou voleurs.

L’émancipation des serfs et l’abolition des châtiments corporels ont indirectement relevé le clergé rural, que ses chefs s’étaient longtemps habitués à considérer comme une sorte de serf. On ne saurait se figurer en Occident de quelle manière les pauvres popes étaient, à une époque encore peu reculée, traités par leurs supérieurs. Les cours ecclésiastiques ne recouraient pas moins que les tribunaux séculiers aux punitions corporelles, et les consistoires diocésains en usaient largement vis-à-vis des clercs de tout ordre. Les mandements épiscopaux se plaisaient à faire siffler le fouet aux oreilles du clergé[1]. Après même que Catherine II eut adouci la législation, lorsque la caste ecclésiastique fut officiellement rangée au nombre des classes privilégiées exemptes des châtiments corporels, les verges continuèrent à cingler les épaules des prêtres de campagne. Le souvenir s’en est conservé dans les familles sacerdotales ; on s’y raconte, de père en fils, des traits de la manière dont certains prélats respectaient les prérogatives légales de leur clergé. En voici un exemple emprunté aux mémoires d’un professeur d’académie qui le tenait de son grand-père[2]. C’était, vers la fin du dix-huitième siècle, un évêque de Vladimir, non point un de ces tyrans mitrés dont maint diocèse a gardé la légende, mais un évêque réputé bon enfant, recevant ses prêtres et ses clercs paternellement et les corrigeant de même à l’occasion. « Ah ! polisson ! leur disait le vladyka, du divan où il restait étendu, je vais te donner une leçon. Qu’on apporte les verges ; déshabille-toi ! » Et, séance tenante, le prêtre ou le diacre ainsi apostrophé devait enlever sa sou-

  1. Znamenski : Prikhodskoé Doukhovenstvo v Rossii so vréméni réform Pétra.
  2. Mémoires de Rostislavol ; Rousskaïa Starina, janvier 1880.