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de la nouvelle génération, plus instruits, plus réservés, plus sobres, ne sont pas toujours ceux qui inspirent le plus de confiance au moujik. Il préfère parfois le pope de l’ancien type avec sa bonhomie, sa grossièreté et ses vices qui sont les siens. « Je sais qu’il se soûle, disait de son curé un paysan, mais c’est un bon chrétien et il n’est gris ni le samedi soir ni le dimanche matin. » À demi paysan durant la semaine, le pauvre pope redevient prêtre en revêtant la chasuble ou l’épitrachélion. La mystérieuse vertu de la religion le porte au-dessus de ses chétives préoccupations et l’élève, pour une heure, au niveau de ses sublimes fonctions. Elles sont particulièrement rudes ces fonctions du prêtre, sous un tel ciel, avec un tel hiver et les énormes distances des paroisses russes. Pour aller, sur ces plaines sans abri, porter l’extrême-onction à un malade ou confesser un mourant, il ne faut guère moins, en certaines saisons et en certaines régions, qu’une sorte d’héroïsme. Or, si le pope veut en être payé, il est inouï qu’il refuse les sacrements. Plus d’un a été surpris par l’ouragan en portant le viatique par une nuit d’hiver. Pour se donner des forces, il avait, avant de partir, bu d’un seul coup un large verre de vodka ; et le lendemain sa femme et ses enfants ont retrouvé son cadavre sous la neige. J’ai entendu raconter plus d’un trait de ce genre. Ce qui est peut-être plus rare, c’est un prêtre en réputation de sainteté, attirant à son église la piété populaire. Il s’en rencontre cependant quelques-uns. Ainsi, dans ces dernières années, le P. Ivan Illitch Serguief, archiprêtre de Saint-André de Kronstadt. C’est, pour le peuple des environs, une sorte de curé d’Ars ou de dom Bosco. On lui attribue des guérisons miraculeuses, on a foi dans la vertu de ses prières ; aussi vient-on de tous côtés lui en demander, ou se confesser à lui, si bien que son église présente, en tout temps, l’aspect encombré des églises orthodoxes un vendredi du grand carême.