Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme ailleurs il a longtemps perçu la dîme, comme, en d’autres pays, l’État fait contribuer au budget des cultes leurs adversaires aussi bien que leurs partisans. La modicité de ses ressources défend au pope d’en rien abandonner. Il a sa femme et ses enfants qui le poussent à ne rien omettre de ses droits ; il a ses confrères du clergé, le diacre et les clercs inférieurs, qui, vivant sur les mêmes gratifications, se trouveraient victimes de son désintéressement. Pour éviter les querelles, il a fallu soumettre la répartition du casuel à des règles officielles. Le prêtre a trois fois, le diacre deux fois plus que le chantre.

Pour les mieux partagés, ces redevances seraient insuffisantes, si, en dehors des sacrements et des cérémonies habituelles de l’Église, la piété ou la superstition du peuple n’offrait au clergé d’autres sources de bénéfices. À la campagne, les diverses saisons et les diverses cultures réclament l’intervention du prêtre, dont les services sont payés tantôt en argent, tantôt en denrées. Les fléaux physiques, la sécheresse, les épidémies sont, pour le pope rural, autant d’occasions de profits. J’ai ainsi vu, dans le midi, le clergé bénir successivement les melons de chaque paysan. Parfois, quand elles n’obtiennent pas le résultat attendu, les prières de l’Église se retournent contre ses ministres. Le moujik les accuse de lui avoir fourni de mauvaises oraisons ou d’avoir mal accompli les rites. Dans une commune du gouvernement de Voronège, comme la sécheresse ne finissait point, les paysans imaginèrent d’immerger le prêtre dans la rivière. D’ordinaire, c’est pour les sorcières qu’ils réservent ce suprême argument ; mais entre le magicien et le prêtre, entre les incantations de l’un et les invocations de l’autre, l’obscure intelligence du moujik ne fait pas toujours grande différence[1], d’autant que prêtre et sorcier lui offrent à peu près le même genre de secours, à des conditions analogues. La pauvreté du clergé

  1. Voyez plus haut liv. 1, chap. iii.