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cérémonies, à peine donne-t-il un ou deux roubles ; pour les plus petites et les plus fréquentes, quelques kopeks (centimes du rouble). La multiplicité de ces redevances peut seule dédommager le clergé de leur modicité ; aussi n’en néglîge-t-il aucune. Il tend à se transformer en agent financier, en collecteur de taxes. Tout se paye, et rien n’a de tarif ; depuis Pierre le Grand, on a plusieurs fois songé à tarifer le casuel ; les préventions du peuple s’y sont opposées. La misère besogneuse du pope doit le disputer à l’avare pauvreté du moujik. Pour une cérémonie, pour un mariage ou un enterrement, on négocie, on marchande parfois, comme on ne marchande plus qu’en Russie. On a vu des fiancés venir à l’église et s’en retourner, sans être mariés, pour n’avoir pu se mettre, d’accord sur le prix avec le curé. On a vu des paysans enterrer clandestinement leurs morts pour échapper aux exigences du prêtre.

De là toutes sortes d’anecdotes, de contes, de légendes. Une fois c’est un pope qui, pour se venger de la ladrerie du père, donne à l’enfant qu’il baptise un nom ridicule. Une autre fois, c’est un paysan qui demande à son curé l’autorisation de se marier dans une autre paroisse. « C’est fort bien, répond le ministre de Dieu ; mais as-tu calculé ce que me coûte ton départ ? D’abord je t’aurais marié : soit tant de roubles. Puis tu auras des enfants, mettons sept : cela me ferait sept baptêmes. Puis, plusieurs de tes enfants viendront à mourir ; mettons trois : cela me ferait trois enterrements. Puis tu auras des fils ou des filles à marier ; mettons quatre : cela me ferait quatre mariages. — Mais, batiouchka, réplique le paysan, tu es déjà vieux : tu pourrais mourir avant tout cela. — C’est vrai, mon ami, riposte le pope, nous sommes tous mortels, aussi je ne te demanderai que dix roubles. « 

La rapacité du clergé a fourni la matière de plusieurs contes populaires. Ces skazki montrent quelle opinion l’impitoyable levée du casuel a donnée du pope au moujik.