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finés les Grands-Russes, sont celles où ont pris naissance la plupart des sectes mystiques de la Russie. Sous cette latitude, les longues nuits de l’hiver, les longs jours de l’été tendent presque également à ouvrir l’âme aux impressions mystiques ou aux religieuses angoisses. Ce n’est pas seulement au figuré que les ténèbres engendrent la superstition, elle naît spontanément, chez l’homme comme chez l’enfant, de l’obscurité physique et des heures nocturnes. Partout la nuit est le temps des craintes mystérieuses qui, ainsi que les phalènes et les oiseaux du soir, se cachent dans le jour pour voltiger autour de l’homme après le coucher du soleil. L’été, les longues soirées de juin, avec leur diaphane crépuscule qui n’est ni la nuit ni le jour, donnent à l’atmosphère du Nord quelque chose d’éthéré, d’immatériel, de fantastique, qui semble étranger au monde réel ; tandis que, durant les gelées d’hiver, les deux Ourses, inclinées sur le pôle, et l’innombrable armée des étoiles scintillent sur les cieux noirs avec un éclat obsédant.

Partout ce qui déconcerte l’esprit, ce qui trouble et épouvante les sens, éveille, avec l’idée de l’inconnu, le sentiment du surnaturel. Il semble, au premier abord, que la Russie soit entièrement libre des grands phénomènes, des commotions de la nature, qui, à Java ou au Pérou et, en Europe même, sur les pentes du Vésuve ou les croupes des Alpujaras, donnent à l’imagination populaire une sorte d’ébranlement périodique. Elle n’a, la vaste Russie, ni volcans comme l’Italie, ni tremblements de terre comme l’Espagne ; elle n’a ni pics neigeux, ni avalanches, ni glaciers, ni fiords aux bords escarpés, ni rochers battus des flots du large. Elle n’a ni les serpents ni les tigres de l’Inde ; elle a, il est vrai, des loups dans ses bois, des ours dans ses solitudes du Nord. Ces deux fauves ont, durant des siècles, été la terreur de ses campagnes ; ils ont l’un et l’autre inspiré maintes superstitions ; mais tous deux, l’ours surtout, sont devenus relativement rares. Ce serait un tort