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du Christ. Il en est qui, en partant soigner les blessés ou les malades, n’ont guère vu là qu’une manière « d’aller au peuple », un peu moins décevante que l’apostolat révolutionnaire. Parmi les jeunes filles aux cheveux courts accourues au chevet des blessés de Plevna, plus d’une s’honorait d’avoir substitué l’amour de l’homme à l’amour de Dieu, faisant fi de l’antique charité chrétienne au profit des viriles doctrines de la solidarité et de l’altruisme. L’âme russe a une sincérité de foi qui la rend plus capable de pareils exploits. La religion que prêchaient aux mourants ces modernes Sœurs n’était pas toujours celle de l’Évangile. Il s’est trouvé, sous cet habit de la charité, de jeunes socialistes pour faire de la propagande jusque dans les ambulances ou les hôpitaux. Quelques-unes de ces Sœurs (je le tiens d’un témoin oculaire) s’étaient donné pour mission, dans les camps de Bulgarie, d’écarter des blessés l’ombre de Dieu. Disputant les âmes aux superstitions des popes, elles poursuivaient de leurs sarcasmes la pusillanimité des moribonds assez faibles pour accepter les consolations d’une foi surannée. On voit que, pour porter le nom de Sœurs de charité, ces infirmières n’étaient pas toutes des religieuses.

Ce ne sont point celles-là qu’on cherche à enrôler pour les hôpitaux. Elles n’ont, du reste, jamais été qu’en minorité parmi les libres servantes des malades. Si ce n’est pas la religion qui les a toutes amenées au pied du lit des pauvres, c’est d’ordinaire la religion qui les y a fait rester. Une institution comme celle des Sœurs de charité ne saurait guère s’étendre et ne saurait guère durer qu’en se soumettant à l’austère discipline de nos Filles de Saint-Vincent-de-Paul ou de nos Petites Sœurs des pauvres. Quelque vivaces qu’en soient les racines au cœur de la femme, la charité a besoin, pour donner tous ses fruits, de l’égale chaleur de la foi et du couvert de la vie religieuse. Il y faut la continence, la pauvreté volontaire, l’obéissance filiale. Cela est si vrai qu’en Angleterre on a vu des pro-