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en procession de village en village. On se presse sur leur chemin, on se dispute l’honneur de les baiser, de les porter, de les héberger la nuit. C’est là, pour les moines, l’occasion d’abondantes collectes. Chez le peuple russe, si passionné pour les images, une icône suffit à la fortune d’un couvent. Il n’est pas de voyageur qui n’ait remarqué, à Moscou, une petite chapelle adossée à la principale porte de la Place Rouge, la place qui sépare le Kremlin du bazar. Cette chapelle, devant laquelle peu de Russes passent sans se signer, contient la Vierge d’Ibérie[1] (Iverskaïa), la plus vénérée de Moscou. L’empereur n’entre jamais dans la vieille capitale sans l’aller saluer. Comme, à Rome, le Bambino de l’Ara-Cœli, la Vierge d’Ibérie va visiter les malades à domicile ; elle possède, à cet effet, chevaux et voitures. Durant ses courses, un double la remplace dans sa niche. Cette image rapporte 4 ou 500 000 francs par an : une partie est prélevée par le métropolitain, le reste revient au couvent propriétaire de l’icône.

Les reliques et les images miraculeuses sont, pour le clergé noir, une sorte de monopole ; il ne souffre pas volontiers qu’en cette matière de simples popes lui fassent concurrence. De ce double avantage, les couvents en tirent un autre, presque également lucratif. Les Russes aiment à se construire des tombes auprès du tombeau des saints. La mode ayant imité la piété, les monastères sont devenus les lieux de sépulture les plus aristocratiques, les plus en vogue. Longtemps, en Russie comme en Occident, ce fut, pour les princes et les boyars, une coutume de prendre, à l’approche de la mort, l’habit monastique et de se faire enterrer dans les monastères. Aujourd’hui les habitants de Pétersbourg se disputent à prix d’or une place dans le cimetière de Saint-Alexandre-Nevsky, ou, à son défaut, dans celui du couvent de Saint-Serge, près de Strelna, au bord du golfe de Finlande.

  1. Ibérie, nom ancien d’une partie de la Géorgie.