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oublie que les grandes laures historiques de la Russie ne sauraient vivre sans revenus ; que le peuple n’est pas préparé à les voir fermer ou à voir de simples popes y remplacer les moines. On oublie surtout que la plus grande partie des ressources des monastères leur vient toujours de l’aumône, et que supprimer les couvents, ce serait, le plus souvent, supprimer leurs revenus.

Les moines ont conservé la principale source des revenus monastiques, les offrandes, source ancienne, profonde, qui, depuis des siècles, jaillit de toutes les couches de la terre russe ; loin de tarir, elle va sans cesse grossissant. Aux couvents appartiennent la plupart des reliques et des images en renom ; aux couvents vont la plupart des pèlerins et des aumônes. Les chemins de fer et l’émancipation des serfs, les facilités morales et matérielles laissées au moujik ont prodigieusement développé les pèlerinages. Il y a une vingtaine d’années, Kief s’enorgueillissait de la visite de deux cent mille pèlerins. Les savants s’effrayaient, pour la santé publique, de ces agglomérations d’hommes à certaines fêtes. Comme dans les grands pèlerinages de l’Inde, de la Perse, de l’Arabie, on faisait remarquer qu’en Europe le choléra semblait parfois avoir pris son point de départ, à Kief, parmi les pèlerins. Aujourd’hui le nombre des pieux visiteurs des catacombes de Petchersk a quadruplé et quintuplé. Kief est devenu le premier pèlerinage du monde chrétien, si ce n’est du globe. En certaines années, en 1886 notamment, la ville sainte du Dniepr a compté, assure-t-on, près d’un million de pèlerins, qui tous ont acheté un cierge et laissé une obole.

À Saint-Serge, de même qu’à Petchersk, l’affluence est telle qu’à certaines solennités les cierges finissent par manquer. Il arrive aux moines de Troïtsa de revendre cinq fois de suite le même cierge aux pèlerins qui viennent prier sur la tombe de saint Serge. La vente des croix et des saintes images fabriquées à la laure est une autre source de revenu. Ces pieux souvenirs ne sont cédés