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parfois les saintes âmes à de profanes habiletés. D’une famille aristocratique fort bien en cour, elle-même ancienne freiline ou demoiselle d’honneur de l’impératrice, l’abbesse Métrophanie fut traduite en cour d’assises pour avoir employé, au profit de son couvent et de ses bonnes œuvres, des moyens peu réguliers, tels que captations, dols, faux. Le jury était composé de marchands, de petits bourgeois (mechtchanes), de paysans, c’est-à-dire des classes les plus respectueuses de la foi et de l’habit religieux : on eût pu craindre que la robe de l’accusée n’en imposât aux jurés de Moscou. L’ancienne freiline n’en fut pas moins condamnée. Le président du tribunal était, m’a-t-on dit, protestant ; l’un des avocats de l’abbesse orthodoxe était juif : en sorte que tout semblait s’être réuni pour faire de ce procès une éclatante démonstration du nouveau principe d’égalité devant la loi. Quelques années plus tard, sous Alexandre III et sous l’administration de M. Pobédonostsef, il est fort douteux que la même abbesse eût été traduite devant le jury ; en tout cas, d’après les nouveaux règlements, l’affaire eût été jugée à huis clos. Pour avoir été reconnue coupable par les tribunaux laïcs, l’abbesse Métrophanie n’en a pas moins gardé la vénération de dévots admirateurs ; pour quelques-uns sa charité était tout son crime, et sa condamnation n’a été qu’un martyre[1].

À certains couvents russes, comme aux Jésuites du dix-huitième siècle, et à certaines maisons religieuses de nos jours, on a reproché de se livrer à des opérations industrielles ou commerciales sans payer patente. L’Anglais Fletcher disait, au seizième siècle, que les moines étaient les plus grands marchands de la Russie. Aujourd’hui on ne saurait dire que les monastères d’hommes ou de femmes s’adonnent au commerce ; ils se contentent de vendre les produits de leurs terres ou de leur travail. Ce qui est vrai, c’est que plusieurs possèdent, dans les villes, des maisons

  1. Ainsi d’après M. Andréef, auteur d’une apologie de l’abbesse.