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forêts[1]. Vers la fin du règne d’Alexandre II, les propriétés territoriales du clergé noir étaient évaluées à près’de 156 000 désiatines, et, depuis, elles ont dû grandir encore. Les monastères du gouvernement de Novgorod possédaient ensemble environ 10 000 désiatines ; Saint-Serge seul en possédait 7000. Pour apprécier cette fortune immobilière, il ne faut pas oublier qu’en Russie, dans le nord surtout, où sont situés la plupart des couvents, il y a nombre de terres de 50 000, voire de 100 000 hectares et plus ; et que souvent les revenus de ces immenses domaines sont inférieurs au revenu d’une ferme vingt fois moindre en Occident. Il n’en est pas moins vrai que certains couvents sont redevenus de grands propriétaires, à telle enseigne que l’on a pu se demander s’ils n’avaient pas le droit d’être représentés aux assemblées territoriales (zemstvos).

Ces terres ne forment, en tout cas, que la moindre partie de la fortune ou des revenus des monastères. Beaucoup possèdent en outre des capitaux que leurs supérieurs font valoir au mieux de leurs intérêts. On disait, il y a quelques années, que Solovetsk, cette ultima Thulé du monde monastique, Solovetsk de la mer Blanche, cet asile classique de la vie ascétique, avait perdu 600 000 roubles dans la banqueroute de Skopine[2]. Plusieurs couvents des deux sexes ont été victimes du même sinistre financier. Abbés et abbesses, avec une avide ingénuité fréquente chez les gens d’Église, avaient confié leurs économies à cette banque municipale qui servait aux déposants un intérêt de 6 1/2, Les affaires d’argent, les placements de capitaux sont, dans la sainte Russie comme ailleurs, un des soucis des chefs de maisons religieuses. Quoique, à cet égard, les abus et les plaintes même soient rares, certains faits, tels que le procès de l’abbesse Métrophanie, sous Alexandre II, ont montré que le soin d’enrichir leur communauté entraînait

  1. La désiatine vaut 1 hectare 9 ares.
  2. Banqueroute qui a fait beaucoup de bruit sous Alexandre III. Voy. t. II, liv. III, ch. iv.