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dons sans emploi, joyaux, vases précieux, étoffes tissées d’or et de perles, objets d’art de toute sorte, formé un musée sans autre rival en Europe que la sacristie patriarcale de Moscou. Outre ce trésor, les caves de Troïtsa contiennent encore, dit-on, des amas de perles et de gemmes non montées. Ces richesses appartiennent aux images et aux saints : les moines n’en sont que les gardiens, ils peuvent vivre pauvres au milieu d’elles.

Jadis les couvents possédaient de vastes domaines : les terres et les villages s’étaient accumulés dans leurs mains aussi bien que les pierres et les métaux précieux. Dans la sainte Russie comme partout, l’État dut de bonne heure chercher à contenir l’extension des biens de l’Église. Les propriétés des monastères s’étaient démesurément agrandies à la faveur de la domination tatare ; l’autocratie moscovite s’en inquiéta dès le quinzième et le seizième siècle. En dépit de leur piété souvent bigote, les derniers princes de la maison de Rurik n’hésitèrent pas à mettre une borne à la mainmorte monastique. Ivan III avait déjà confisqué les biens des églises et des couvents du territoire de Novgorod. Ivan IV, au milieu de ses opritchniks et de son harem de la Slobode Alexandra, avait beau mettre sa dévotion à parodier la vie religieuse, le Terrible se plaisait à réprimander les moines, les poursuivant de ses pédantesques sarcasmes, leur reprochant leur paresse, leur vie molle et déréglée, attribuant leurs vices à l’excès de leurs richesses. Sous son règne, le concile de 1573 fit défense aux monastères les plus opulents d’acquérir des terres nouvelles ; le concile de 1580 étendit cette interdiction à tous les couvents. Le clergé régulier et séculier, menacé dans sa fortune, recourut naturellement à ses armes spirituelles. À la liturgie furent ajoutés des anathèmes contre les spoliateurs de l’Église. Dans un missel du diocèse de Rostof de 1642, se trouve en marge de ces anathèmes cette annotation à l’usage du protodiacre : « Chante fort[1] ».

  1. Vosglasi velmi — Rousskaïa Starina, fév. 1880, p. 207.