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sions ; en Russie, on vient au couvent pour faire carrière. À l’encontre des pratiques primitives de l’ordre monastique, on prend le voile pour ceindre la mitre.

Après avoir choisi entre l’Église et le monde, les séminaristes ont à choisir entre les deux clergés, entre la vie du pope, avec les joies de la famille, et la vie du moine, qui ouvre l’accès des dignités de l’Église. Jusqu’à une époque récente, les religieux dirigeaient exclusivement les académies ecclésiastiques ; ils n’épargnaient rien pour attirer dans leur sein les jeunes gens de belle espérance. Pendant que le jeune homme hésitait entre les tendres aspirations du cœur et les flatteuses perspectives de l’ambition, ses supérieurs employaient pour l’amener à eux toutes les fascinations de la piété et toutes les séductions de l’amour-propre. Quelquefois on allait jusqu’à la ruse ; on usait, pour le recrutement des moines, du procédé des anciens racoleurs pour le recrutement des troupes du roi. S’il faut en croire un livre qui prétendait dévoiler les mystères des couvents russes[1], on a vu des supérieurs attirer chez eux un séminariste indécis, le faire boire, lui faire signer une demande d’admission à la profession religieuse ; et le moine sans le savoir se réveillait tonsuré et vêtu de l’habit monastique. Ce fait se passait à l’académie de Moscou, sous le métropolite Platon, au commencement du siècle. De pareils traits appartiennent à un monde déjà évanoui. D’ordinaire, il n’est pas besoin de ces frauduleuses habiletés ; l’amour-propre et les misères de la vie du pope suffisent, à défaut de la piété, pour faire prendre l’habit religieux aux sujets que désigne le zèle intéressé de leurs supérieurs.

Une fois ses vœux prononcés, rien de plus facile, de plus rapide, que la carrière du séminariste devenu moine. La loi n’admet les hommes aux vœux monastiques qu’à trente ans ; pour l’élève des académies, la limite légale s’abaisse

  1. O Pravoslavnom bélom i tchernom Doukhoventsvé v Rossii : t. I, ch. vii.