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est une espèce d’ordination qui confère au souverain les lumières d’en haut pour l’accomplissement de sa providentielle mission, L’Église qui présidée l’onction ne saurait oublier le caractère dont l’huile sacrée a marqué l’oint du Seigneur. Quant au peuple, le tsar sacré au Kremlin est à ses yeux comme le namestnik, le lieutenant de Dieu[1].

On peut se demander si un changement dans le régime politique accroîtrait les libertés de l’Église. Cela est douteux. Rien n’assure que l’Église gagnerait plus d’indépendance à la conversion du gouvernement autocratique en gouvernement constitutionnel. Les régimes les plus libres, au point de vue politique, ne sont pas toujours les plus libéraux en matière religieuse. L’État moderne est singulièrement défiant de l’Église. Un parlement n’a pas toujours, vis-à-vis du clergé, moins d’exigences qu’un autocrate. La Grèce et la Roumanie en sont la preuve parmi les pays orthodoxes. Dans une Russie libre, les membres du clergé pourraient revendiquer leur part des libertés publiques ; l’Église, comme corps constitué, risquerait fort de demeurer en tutelle[2].

  1. M.Barsof a publié en 1883, pour la Société Impériale d’histoire et d’antiquités russes, une curieuse étude sur le rite et sur le sens du sacre des souverains russes. L’auteur montre combien cette cérémonie est intimement liée au développement du principe autocratique. Le rite du sacre des empereurs byzantins a, depuis le xve siècle, servi de modèle pour les tsars moscovites. Il est à remarquer que, depuis Pierre le Grand et l’abolition du patriarcat, le cérémonial a subi des altérations en rapport avec les changements effectués dans l’Église. C’est ainsi qu’autrefois l’empereur descendait de son siège à l’autel pour être oint et couronné par la main du patriarche. On voit encore, à l’église de l’Assomption du Kremlin, les deux ambons ou trônes du tsar et du patriarche. Aujourd’hui l’empereur est simplement assisté par les évêques ; le métropolitain lui apporte la couronne, que le souverain place lui-même sur sa tête, indiquant par là qu’il ne tient son pouvoir que de son droit. De même, l’empereur, comme prince orthodoxe, lit encore le Credo ; mais il ne promet plus, comme les vieux tsars et les empereurs grecs, de maintenir les droits de l’Église et de respecter les canons.
  2. Les représentants officiels du gouvernement russe aiment à montrer que, sous le régime autocratique, l’Église a une meilleure situation que dans les États constitutionnels d’Orient. C’est ainsi qu’on a vu, en décembre 1886. dans son rapport pour l’année 1884, le haut procureur du Saint-Synode. M. Pobédonostsef, accuser la Grèce, la Serbie, la Roumanie, de faire de l’Église