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Pour être faite dans l’intérêt de rÊtat, au bénéfice de l’autocratie, la révolution opérée par Pierre le Grand n’en était pas moins facile à colorer de l’intérêt de l’Église. Au nouveau synode on pouvait découvrir des précédents. N’était-ce pas les conciles qui dans l’orthodoxie orientale avaient, de tout temps, exercé l’autorité suprême ? D’après les canons, c’était à une assemblée de prélats que, pendant les vacances de la chaire patriarcale, revenait l’administration ecclésiastique. Ce mode de gouvernement, rien ne défendait de le rendre permanent. Pour donner à la nouvelle institution un caractère ecclésiastique, il suffisait d’un changement d’étiquette. Au nom de « collège spirituel » il n’y avait qu’à substituer un nom plus religieux. Pierre et Prokopovitch n’y manquèrent point. Après avoir présenté le nouveau conseil « comme une sorte de synode ou de sanhédrin », ils se déterminèrent pour le premier terme ; le collège spirituel prit définitivement le nom de Très Saint Synode. Ses fondateurs eurent soin de le représenter comme un concile permanent[1]. Ils ne semblent pas avoir vu combien une assemblée d’évêques et de prêtres choisis par le tsar différait d’un véritable concile.

En renouvelant la constitution de l’Église, Pierre agissait en autocrate. On est frappé des précautions prises par le tsar dans ce remaniement de l’organisation ecclésiastique. Sa conduite, dans toute cette affaire, contraste avec ses procédés habituels. Il a recours à des lenteurs, à des fictions, à des déguisements étrangers à son caractère. C’est qu’alors même qu’il s’érige en arbitre de la hiérarchie, Pierre ne se sent pas aussi libre dans le domaine religieux que sur le terrain politique. S’il s’arrange de façon à deve-

    des éditions grecques modernes. La formule du serment des évêques à leur sacre a été aussi modifiée par Pierre le Grand. Avant lui, les évéques juraient de résister à la pression du tsar plutôt que d’exercer leur ministère en dehors de leur diocèse. Une pareille promesse était malséante pour le pouvoir suprême.

  1. « Un gouvernement conciliaire permanent », dit le Règlement spirituel : pravlénié sobornoé vsegdachnéé. L’oukaze de janvier 1721 se sert de termes analogues.