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trône patriarcal devait être une des réformes de Pierre le Grand : c’était la condition de la durée des autres. Le patriarcat représentait les vieilles traditions, l’esprit conservateur hostile aux étrangers et aux mœurs étrangères. L’Église était naturellement trop opposée aux innovations pour que le réformateur lui laissàt une constitution aussi forte. On connaît le propos du malheureux tsarévitch Alexis : « Je dirai un mot aux évéques, qui le rediront aux prêtres, lesquels le répéteront au peuple, et tout reviendra à l’ordre ancien ». Pierre savait les encouragements donnés dans le clergé aux projets réactionnaires de son fils. Petit-fils d’un patriarche, il se souvenait du pouvoir exercé par son bisaïeul, Philarëte, sous le nom du tsar Michel ; il se rappelait les embarras qu’avait donnés à son père Alexis la déposition de Nikone. Pierre Ier n’était pas homme à admettre la théorie scolastique des deux astres qui éclairent les peuples d’une lumière indépendante ; ce n’étaient point de pareilles leçons qu’il avait rapportées de l’Europe du dix-huitième siècle.

La suppression du patriarcat fut un des effets de l’imitation de l’Occident. Ne pouvant, comme à la guerre ou dans l’administration, y employer des étrangers, Pierre se servit, pour la réforme de l’Église, de Petits-Russiens élevés à l’académie de Kief, au contact de l’Europe. La réforme ecclésiastique se fit sous une inspiration occidentale, en partie sous une inspiration protestante. C’était l’époque où les souverains réformés et luthériens montraient le moins d’égards pour l’Église, où, presque partout, le pouvoir civil s’ingérait sans scrupules dans les affaires ecclésiastiques. Les voyages du tsar, les exemples de l’Angleterre, de la Suède, de la Hollande, de certains États de l’Allemagne, ne furent probablement pas étrangers à la nouvelle constitution de l’Église russe. La France elle-même y contribua d’une manière indirecte. Le remplacement d’un chef unique par une assemblée ne fut point, dans l’œuvre de Pierre le Grand, un acte isolé, spécial à l’Église ; c’était un plan gé-