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plète, l’abaissement du patriarcat eut lieu sous un ami du patriarche, sous un prince dévot et scrupuleux, que sa piété eût arrêté devant les résistances de l’épiscopat, si l’Église eût adhéré à son chef. Après un pareil exemple, on comprend que Nikone n’ait pas trouvé d’imitateurs. Le savant patriarche avait beau citer les anciens canons, il s’était trompé de pays et d’Église. La constitution ecclésiastique de la Russie le condamnait presque autant que la constitution politique. Le personnage qu’il avait osé jouer ne convenait pas à une Église essentiellement nationale. Dans l’Église russe, comme s’en plaignait vainement Nikone, la grâce du Saint-Esprit ne pouvait agir que par oukaze du tsar[1].

La défaite de Nikone établit définitivement la suprématie de l’État dans l’Église. La chaire de Moscou reçut de la chute du plus grand de ses pontifes un ébranlement dont elle ne se remit point : la déposition du patriarche prépara l’abolition du patriarcat. Le schisme, le raskol, qui repoussait la réforme liturgique de Nikone, dépouilla l’Église officielle de son influence sur une grande partie de la nation. En ayant, pour lutter contre les sectaires, recours au pouvoir civil, la hiérarchie ne fit que s’en rendre plus dépendante ; l’appui qu’elle perdait dans le peuple, elle fut obligée de le chercher auprès du trône. À ce point de vue, la position de l’Église russe n’était point sans ressemblance avec celle de l’Église anglicane, vers la même époque, vià-à-vis des sectes puritaines. Lorsqu’elle fut supprimée par Pierre le Grand, l’autorité patriarcale était déjà en décadence.


Le patriarcat était affaibli, il parut encore entouré de trop de prestige au rénovateur de la Russie. L’abolition du

  1. Palmer, The replies of the humble Nikon, p. 206. — On a quelquefois suspecté Nikone de penchants vers Rome. Cela semble erroné. Loin d’avoir fait appel au pape, Nikone traite ses adversaires de papistes. Malgré cela, le patriarche russe n’a guère rencontré de sympathies qu’en dehors de la Russie, parmi les catholiques.