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sent d’ordinaire à un vague instinct. Toujours est-il qu’en faisant conférer à son Église, si longtemps vassale de Byzance, la suprême dignité ecclésiastique, Godounof continuait l’œuvre des Ivan s’appropriant, avec le titre de tsar, l’aigle impériale. C’était le second acte du transfert de l’héritage gréco-romain de Constantinople à Moscou. Moscou était la troisième Rome. La défection de la vieille Rome, en rupture avec l’orthodoxie, justifiait l’érection du patriarcat moscovite. La place laissée vacante par le pape était occupée par le pontife russe. Et, comme la seconde Rome avait succédé à l’ancienne, la troisième ne pouvait-elle supplanter la seconde, profanée par le Musulman, et devenir, à son tour, la tête de l’orthodoxie ? De pareilles perspectives semblaient peu faites pour disposer le patriarcat de Constantinople à l’érection d’un patriarcat rival. Moins faibles ou moins besogneux, les hiérarques orientaux ne se fussent pas aussi facilement prêtés aux désirs du tsar Féodor et du grand-boyar Godounof. Le patriarche Jérémie, venu en Russie pour chercher des aumônes, consentit à toutes les demandes russes. Le prélat byzantin eût même volontiers échangé son précaire siège de ConstantinopIe, acheté au Sérail, contre l’opulente Église de Moscou. Il semble que les Russes eussent eu avantage à faire asseoir sur la chaire nouvelle le patriarche cecuménique, le chef traditionnel de l’orthodoxie. Godounof avait d’autres vues ; pour ses desseins personnels l’usurpateur avait besoin d’un Russe. Un Russe, Job, fut sacré patriarche[1].

Le patriarcat moscovite eut un caractère strictement national ; sa juridiction ne s’étendit qu’avec les limites politiques de l’empire. C’était aux évêques russes, rassemblés en concile, de nommer leur chef ; ils choisissaient trois noms, entre lesquels le sort devait décider. Les prérogatives du patriarche restèrent, au fond, les mêmes que

  1. Voyez M. Eug. M. de Vogué : Histoires orientales.